Dans cet entretien à TSA Algérie, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, évoque le rôle de l’institution dans l’apaisement entre l’Algérie et la France dont les relations traversent une grave crise.
Il revient sur l’absence du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à son iftar des ambassadeurs du 18 mars, la stigmatisation des Franco-Algériens, les attaques contre la Grande mosquée de Paris.
Chems-Eddine Hafiz affirme que la Grande mosquée de Paris est une « ambassade pour tous les musulmans », en réponse à ceux qui l’accusent d’être une ambassade bis de l’Algérie.
La Grande Mosquée de Paris a organisé ce mardi son 4e dîner des ambassadeurs. Jean-Noël Barrot était présent, mais pas Bruno Retailleau. L’avez-vous invité ?
Je remercie d’abord le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dont la présence, parmi de nombreux ambassadeurs, était sensée. Il a plaidé l’apaisement, ce qui sied au message de la Grande Mosquée de Paris fondé sur la paix, en toutes circonstances.
Le ministre de l’Intérieur a quant à lui affirmé qu’il ne se rendrait à aucun iftar, en invoquant la laïcité. C’est sa décision. Ses prédécesseurs en ont jugé autrement.
L’iftar est un repas convivial à la rupture du jeûne quotidien du mois de Ramadan, pas un office religieux.
Le président Emmanuel Macron a assisté à des iftars, comme les précédents présidents. Et il en va de même pour de nombreux ministres et élus de la République, chaque année, qui participent à ces moments de partage, en un geste de respect et d’estime pour nos concitoyens musulmans.
En France, le ministre de l’Intérieur est chargé du dialogue entre l’État et les cultes. Pour les responsables du culte musulman, il est le premier interlocuteur. Nous nous devons d’entretenir des relations avec lui.
Contrairement aux années précédentes, aucun imam algérien n’est venu en France durant ce mois de Ramadan. Pourquoi ?
La Grande Mosquée de Paris et les mosquées qui lui sont affiliées en France ont en effet l’habitude de bénéficier d’imams algériens spécialisés dans la récitation du Noble Coran, envoyés par le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs, afin d’assurer les prières de Tarawih spécifiques au mois de Ramadan.
Ils ne sont pas venus cette année. J’en ignore les raisons précises. J’espère simplement que les fidèles pourront profiter de leur qualité et de leur dévouement l’année prochaine.
La Grande mosquée de Paris est attaquée en France pour son lien avec l’Algérie. Ces attaques impactent-elles son fonctionnement ?
La Grande Mosquée de Paris a été très sereine face aux attaques infondées qui l’ont ciblée il y a quelques semaines. Elles sont restées sans suite car elles reposaient sur un lit de mensonges et de convoitises.
Je l’ai dit auparavant, l’institution a été visée principalement pour ses liens historiques et actuels avec l’Algérie, dans un contexte de graves tensions.
La Grande Mosquée de Paris a connu bien d’autres attaques, par le passé, en raison de cette relation avec l’Algérie ou parce qu’elle incarne l’image des musulmans qui revendiquent leur citoyenneté, et que cela déplaît aux promoteurs de la division.
Elle poursuit ses missions, ses activités et ses projets, toujours plus nombreux, car derrière les polémiques passagères subsistent des sujets essentiels à traiter.
Vous avez dénoncé dans une tribune publiée le 5 mars la “condamnation sans preuve” des binationaux notamment d’origine algérienne. Y a-t-il une volonté de cibler les binationaux ou sont-ils des victimes collatérales de la crise entre les deux pays ?
J’ai dit lors de l’iftar du 18 mars que la Grande Mosquée de Paris était, depuis sa fondation, une ambassade : celle de tous les musulmans qui le souhaitent.
Il se trouve qu’un certain nombre de musulmans en France ont une filiation, une existence, une identité partagées entre plusieurs pays – et ils ne sont pas les seuls.
Ceux qui alimentent aujourd’hui les suspicions sur les binationaux, les jugeant à moitié français, trahissent le vrai récit de la France. Et dans un monde comme le nôtre, la double appartenance n’est pas une soustraction mais une richesse multipliée pour la société.
La crise diplomatique ne doit pas être un prétexte pour s’en prendre tous azimuts aux binationaux algériens ou aux français d’origine algérienne. Je ressens chez eux un désarroi légitime.
Comme eux, je suis atterré par les allégations et les réductions qui courent de certains mouvements politiques à certains plateaux télévisés, dans une apathie généralisée. Il faut que cela cesse !
Quel rôle peut jouer la Grande mosquée de Paris pour trouver une issue à la crise actuelle entre la France et l’Algérie ?
Fidèle à ses héritages, la Grande Mosquée de Paris s’est toujours distinguée par la recherche de rapports vertueux entre l’Algérie et la France.
Ces dernières années, j’ai lancé un certain nombre d’initiatives, en matières religieuse, sociale, éducative, construites sur le dialogue et l’avenir, comme par exemple les colonies de vacances en Algérie pour les enfants d’ici.
J’entends que notre institution continue à prendre sa part dans cette recherche profitable aux deux pays, et elle le fera à travers les valeurs spirituelles, humaines et culturelles de l’islam, qui résonnent entre les rives de la Méditerranée.
Il y a peu de voix qui appellent à revenir à la raison et à une meilleure compréhension des enjeux historiques et contemporains entre les deux pays. La Grande Mosquée en est une.