Il semble que sur les tables des consommateurs algériens, la viande en provenance du Brésil devrait perdurer. En cause la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui empêche toute importation de jeunes bovins en provenance de France ou d’Espagne. Une situation qui impacte la filière locale de l’engraissement.
Quand Miloud Bouadis, le président du Conseil national de la filière viande rouge en Algérie, parle de la situation, il se dit profondément inquiet.
« On est à deux mois du Ramadan et les étables sont vides. Depuis une année, pas un seul veau n’a été importé, a-t-il dit dans un entretien à Ennahar TV jeudi 5 décembre. Normalement, il faudrait que dès l’Aïd passé, les étables soient pleines d’animaux à engraisser pour le mois de Ramadan suivant ».
Il enchaîne en décrivant la situation de la filière des viandes rouges en Algérie : « Des élevages n’ont pas travaillé depuis un à deux ans. Certains sont allés vers d’autres activités comme la vente de voiture ou l’immobilier ».
Il s’alarme de la perte d’un savoir-faire et demande que « les gens soient incités à revenir au métier sous peine de perdre un capital d’expérience ».
Il s’inquiète également de la fermeture sur tout le territoire national de tous les marchés à bestiaux à la moindre maladie : « Pourquoi ne pas fermer seulement les marchés dans la région incriminée afin d’isoler le foyer ? La filière ne peut se permettre ces fermetures ponctuelles ».
Traditionnellement, les arrivages de jeunes bovins (les broutards) depuis le port de Sète en France vers les ports algériens se fontdans des bateaux spécialisés. Afin de soutenir les professionnels de la filière, des aides financières diverses leur sont allouées selon un quota annuel portant sur un nombre déterminé d’animaux.
Viandes rouges en Algérie : la filière dans le rouge
En 2022, les importations de bovins ont atteint le chiffre record de 69.000 têtes et le port de Sète doit sa prospérité à ces transits vers l’Algérie.
Progressivement toute une filière s’est construite en Algérie : acheteurs, transporteurs, lazarets permettant de mettre en observation les animaux à leur arrivée, éleveurs engraisseurs, producteurs d’aliments concentrés, maquignons, abattoirs.
C’est avec fierté que le président de la filière explique qu’aujourd’hui des éleveurs sont capables d’engraisser en 7 à 8 mois des veaux de 700 kilos. Lui-même dans son exploitation de Rouiba engraisse plusieurs centaines de broutards.
L’irruption de la MHE en 2023 en France puis en Espagne s’est traduite par l’arrêt des importations de bovins en provenance de ces deux pays et donc par le quasi arrêt de la filière algérienne d’engraissement, d’où l’inquiétude de Miloud Bouadis.
Ce dernier explique que « les abattoirs traitaient 200 veaux par jour et ce chiffre est passé à 2 par semaine. Les veaux abattus actuellement sont des animaux nés en Algérie ».
C’est le cas de l’abattoir Bouadis de Rouiba inauguré en 2022. Un abattoir moderne répondant aux normes d’hygiène en vigueur et qui peut traiter quotidiennement 200 têtes de bovins et 680 ovins.
Dans une vidéo consacrée à la présentation de cet investissement, Miloud Bouadis montrait avec fierté une carcasse suspendue à un crochet dans la chambre froide de l’abattoir en faisant remarquer : « il n’y a pas de graisse, signe d’une alimentation équilibrée » ajoutant qu’il s’agit de carcasses qui pèsent « plus de 400 kg et que chez les professionnels, il est courant d’affirmer qu’au-delà de 300 kg c’est du bénéfice ».
L’abattoir possède également un point de vente au détail. « C’est un concept nouveau : du producteur directement au consommateur », expliquait Miloud Bouadis en 2023.
Mais importer des broutards est impossible tant la maladie progresse en France, Espagne et Portugal.
En avril dernier, dans le média Web-agri, une spécialiste faisait ce constat : « L’hiver doux a à peine calmé les ardeurs des moucherons culicoïdes, vecteurs de la maladie. La remontée des températures joue à la fois sur la multiplication des moucherons mais aussi sur la réplication du virus ».
Quant à un vétérinaire, il alertait : « On voit des moucherons actifs, les animaux sont sortis. Il faut s’attendre à une reprise des risques ».
Une note de suivi des services sanitaires français indiquait fin novembre que le nombre de foyers était en augmentation et qu’il atteignait 2 673 soient « +142 foyers par rapport à la semaine précédente ».
Une situation qui a amené les autorités sanitaires françaises à limiter les transports animaux et a demandé à tout éleveur de présenter un test PCR négatif en cas de déplacement de ses bêtes. Un test que réclament les autorités qui continuent à importer des bovins français.
Si la mortalité des bêtes atteintes est faible, la baisse de poids et de production de lait est notable chez les animaux atteints. Pour les animaux atteints, la maladie est incurable.
L’État français a déjà financé plus de 60 millions d’euros d’indemnisation suite aux pertes liées à cette épizootie. Mais les éleveurs sont aux abois car la l’instabilité gouvernementale retarde le versement de ces indemnités.
Quant au vaccin, il s’est fait attendre. Un vaccin contre la MHE existait déjà, mais il n’est efficace que sur le sérotype présent au Japon. Il a été nécessaire d’attendre la mise au point d’un vaccin contre le sérotype présent en France.
Fin septembre, le ministère français de l’agriculture a annoncé que : « deux millions de doses de vaccins ont été commandées et prises en charge à 100% par l’État pour un montant de plus de 9 millions d’euros ».
Comme la MHE est présente du sud au nord de la France mais seulement dans la partie ouest, la stratégie de vaccination vise à traiter les élevages situés sur une bande large de plusieurs dizaines de kilomètre allant du département de la Manche jusqu’à celui des Bouches du Rhône.
Une situation qui bénéficie aux éleveurs brésiliens et qui permet l’importation de viande en provenance de ce pays par l’Algérienne des viandes rouges (Alviar).
Très tôt des éleveurs brésiliens ont importé d’Inde des bovins pour leur résistance à la chaleur et aux piqures d’insectes du fait d’une peau épaisse.
La sélection a permis de procurer aux éleveurs une race d’animaux adaptés aux régions sèches du Brésil et à la carcasse riche en bon morceaux.
Aujourd’hui, le pays compte 220 millions de têtes de bétail et il est devenu le plus gros exportateur de viande au monde. Le Brésil a l’ambition de doubler les effectifs pour 400 millions de bovins.
Revers de la médaille, pour se procurer de nouveaux pâturages les éleveurs défrichent illégalement des pans entiers de la forêt amazonienne et contribuent ainsi au réchauffement climatique.
Faiblesse de la production de veaux algériens
En Algérie, la production locale de veaux reste insuffisante d’autant plus que les veaux femelles sont orientés vers la production laitière. Les besoins en jeunes veaux destinés à l’engraissement est considérable. Certains éleveurs en engraissent annuellement plusieurs centaines voire plusieurs milliers dans le cas des plus gros élevages.
L’engraissement des veaux de races locales est moins rentable, il faut les nourrir plus longtemps que les races européennes pour arriver à un poids équivalent.
Or, l’aliment concentré constitué d’orge, maïs et soja coûte en moyenne 8 000 DA le quintal et les animaux en consomment jusqu’à dix kilos par jour.
A cela, il faut rajouter une balle de paille consommée quotidiennement. En période de finition Miloud Bouadis indique que « l’aliment concentré est donné à volonté. Quand il finit sa mangeoire, on la lui remplit à nouveau ».
Dans ces conditions, engraisser plusieurs centaines de broutards nécessite d’avoir des moyens financiers conséquents pour financer les coûts du poste alimentation. Il est couramment admis que la production d’un kilo de viande nécessite la mobilisation de 15.000 litres d’eau.
Pour pallier aux besoins du marché local, l’Algérie importe aussi des bovins depuis le Mali et le Niger dans le cadre d’opérations de troc.
Ces animaux sont dirigés vers des abattoirs locaux et la viande est ensuite ramenée vers le nord du pays par camions frigorifiques. Des importateurs de Tamanrasset demandent qu’il leur soit autorisé de les engraisser avant abattage.
Des alternatives à la viande rouge
Actuellement, en Algérie les éleveurs-engraisseurs restent suspendus à la reprise des importations de broutards. Une reprise qui dépend en France de la vaccination du cheptel.
Autre alternative, importer des veaux de lait des ex-pays de l’Est où la MHE semble actuellement absente. Une stratégie adoptée par les éleveurs espagnols. Ce genre de pratique équivaut dans la filière avicole à importer des poussins.
Cependant, l’élevage de ces très jeunes veaux est délicat et ne peut être confié qu’à des élevages spécialisés. Problème, pour amener ces jeunes veaux au poids de 350 kilos, il s’agit de disposer des moyens financiers pour produire ou acquérir des fourrages et des aliments concentré.
Entre arrêt des importations et sécheresse, la filière algérienne de la viande bovine affronte de nombreux défis. La viande de veau produite localement devrait rester un produit cher.
Aussi, Miloud Bouadis espère à l’avenir un soutien spécifique des pouvoirs publics en faveur des éleveurs élevant de jeunes veaux.
Côté consommation, face au coût de la viande bovine, des marques européennes de steaks hachés incorporent jusqu’à 57% de tourteau de soja texturé dans leurs Burgers.
Une alternative qui mérite l’attention d’autant plus que l’industrie locale de trituration des graines d’oléagineux produit de grande quantité de ces tourteaux après extraction de l’huile.