Économie

Macron au Maroc : les milieux d’affaires français craignent la perte du marché algérien

Le président français effectue à partir de ce lundi 28 octobre une visite d’État de trois jours au Maroc après une longue période de brouille avec le royaume. Cette visite suscite des inquiétudes dans les milieux d’affaires français qui redoutent la perte du marché algérien.

Le déplacement d’Emmanuel Macron devrait sceller le rapprochement entre les deux pays entamé en février dernier, mais n’est pas sans susciter des inquiétudes en France quant à l’avenir de la relation déjà très précaire avec l’Algérie.

Algérie – France : une nouvelle crise en lien direct avec le Maroc

La crise actuelle entre Alger et Paris est en lien direct avec le Maroc. Le 31 juillet dernier, l’Algérie a procédé au retrait de son ambassadeur en France suite à la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître implicitement “la souveraineté marocaine” sur le Sahara occidental en appuyant le plan d’autonomie présenté par le Maroc comme “seule base” pour parvenir à un règlement du conflit. Une décision prise au mépris du droit international.

Le revirement français a fait suite à plusieurs années de pression du Maroc dont le roi Mohammed VI a solennellement posé à l’Europe le soutien de ses thèses dans le dossier sahraoui comme préalable à tout partenariat ou relation normale.

Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international”, a déclaré Mohammed VI dans un discours prononcé en août 2022.

Cette injonction royale est survenue moins de deux ans après la reconnaissance en décembre 2020 de la « marocanité » du Sahara occidental par l’ancien président américain Donald Trump en échange de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.

Elle avait surtout coïncidé avec l’approche de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, alors que la relation entre Alger et Paris était plus que bonne.

Le Maroc note aussi ses partenaires à l’aune de leur relation avec le voisin algérien. Ni le roi ni sa diplomatie ne pouvaient évidemment l’assumer, laissant le soin à leurs relais de l’exprimer.

En France, des personnages comme Rachida Dati, Éric Ciotti et d’autres ont réclamé pendant plusieurs mois d’Emmanuel Macron de “rééquilibrer” sa politique maghrébine jugée favorable à l’Algérie au détriment de “l’allié historique” marocain.

En cédant à la droite et à l’extrême-droite sur cette question de politique maghrébine, comme il l’a fait sur d’autres sujets de politique intérieure, le président Macron a pris le risque de saper sept ans d’efforts pour dépassionner la relation avec l’Algérie et bâtir un “partenariat renouvelé”, promesse phare de la Déclaration d’Alger signée en août 2022.

L’Algérie, un partenaire pour la France non moins important que le Maroc

En France, ce n’est pas tout le monde qui applaudit le choix fait par Emmanuel Macron en faveur du Maroc. Le royaume est certes un allié historique de la France, mais l’Algérie est un partenaire non moins important.

Il s’agit du deuxième marché africain pour les produits français, un important fournisseur d’énergie pour l’Europe du sud, un pays au potentiel d’investissement énorme, une puissance régionale dont la profondeur stratégique va jusqu’aux confins du Sahel et un acteur clé dans la lutte contre la menace terroriste et les flux migratoires. L’Algérie est aussi le pays qui compte la plus forte communauté étrangère en France.

Des voix sensées s’élèvent en France, même si elles sont minoritaires et peu audibles comparativement à celles qui poussent carrément à la rupture, pour appeler à ne pas renoncer avec tant facilité à un partenaire d’une telle importance.

L’état d’esprit de ceux qui tiennent encore à une bonne relation avec Alger est résumé par l’ancien haut fonctionnaire français Patrick Stefanini.

« Ce que j’espère c’est que cette visite ne se traduira pas par une dégradation forte de nos relations avec l’Algérie. Parce que si on perd avec l’Algérie ce qu’on gagne avec le Maroc, on sera passé à côté du sujet”, a déclaré ce lundi sur BFMTV l’ancien proche de Nicolas Sarkozy à propos du voyage d’Emmanuel Macron à Rabat.

Ce sont les retombées sur le partenariat économique qui inquiètent le plus de l’autre côté de la Méditerranée, même si l’Algérie n’a actionné, officiellement, pour le moment aucun de ses leviers liés au commerce ou à l’investissement.

France : “Si nous perdons avec l’Algérie ce que nous gagnons avec le Maroc…

Il est indéniable que la présence économique française en Algérie n’est plus ce qu’elle était, mais le recul est antérieur à la crise politique actuelle et même à celle de l’automne 2021. La France a perdu son statut de premier fournisseur de l’Algérie en 2013 au profit de la Chine et ses entreprises ont été bousculées par les opérateurs turcs et chinois tout au long de la dernière décennie.

Après la décision de Macron de s’aligner sur les thèses marocaines concernant le Sahara occidental, des inquiétudes ont surgi dans les milieux d’affaires d’un remake de la crise entre l’Algérie et l’Espagne qui a éclaté pour les mêmes raisons liées au dossier sahraoui.

En mars 2022, le gouvernement espagnol a changé de position sur le conflit au Sahara occidental. En réponse, l’Algérie a retiré son ambassadeur de Madrid, gelé le commerce et le traité d’amitié avec l’Espagne.

Le blocage du commerce avec l’Espagne avait été institué par une note écrite de l’Association des Banques et établissements financiers (Abef) en juin 2022. Ce scénario ne s’est pas répété avec la France.

À notre connaissance, il n’y a pas eu d’instruction, du moins écrite, des autorités algériennes aux entreprises pour ne pas traiter avec les opérateurs français”, confirme une source des milieux d’affaires français en Algérie.

La même source se veut positive, y compris quand elle évoque les décisions du gouvernement algérien liées à la rationalisation des importations et la réglementation des investissements, soulignant que ces mesures sont antérieures à la crise en cours et reconnaissant qu’elles procèdent d’une orientation économique générale des autorités algériennes et ne ciblent donc pas spécifiquement les produits ou les investissements français.

« Faire du business en Algérie à partir de la France, c’est terminé. L’Algérie veut moins d’importation et plus d’investissement, de production locale », souligne notre source qui admet toutefois que le climat actuel d’attaques récurrentes en France contre l’Algérie sur des questions comme l’immigration ou la mémoire ne peut être propice à encourager le partenariat économique entre les deux pays.

Le journal français L’Opinion a relayé dans un article publié dimanche les inquiétudes des entrepreneurs français qui « redoutent de perdre des marchés en Algérie en raison des tensions entre les deux pays ».

« C’est vrai, les patrons français sont inquiets, ce qui est normal dans le contexte actuel, confirme notre source, mais pour le moment, il n’y a pas d’instruction anti entreprises françaises en Algérie qui reste un pays difficile. Tout se mélange, entre les tensions politiques, la nouvelle orientation économique de l’Algérie, les restrictions à l’importation ».

En 2023, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France ont augmenté de 5,3 % pour atteindre 11,8 milliards d’euros contre 11,2 milliards en 2022. En 2023, la France a exporté pour 4,5 milliards d’euros de produits vers l’Algérie  dont 1,9 milliard d’euros de produits industriels et a importé essentiellement des hydrocarbures (pétrole et gaz).

En plus des échanges économiques qui ne reflètent pas la totalité du poids de la relation économique entre les deux pays, de nombreuses entreprises sont implantées en Algérie. Selon Romain Keraval, directeur de Business France Algérie, plus de « 250 filiales détenues à plus de 50 % par des capitaux français sont présentes en Algérie ».

La rupture à laquelle poussent les adeptes du rapprochement avec le Maroc n’est dans l’intérêt ni de l’Algérie ni de la France. Le 5 octobre, le président Abdelmadjid Tebboune a exprimé très subtilement, en une seule phrase, son attachement à la relation algéro-française et son exaspération de l’animosité anti-algérienne d’une partie de la classe politique et des médias français.

Je ne fais que garder le cheveu de Muawiya”, a indiqué le président algérien. Dans le contexte actuel de la relation bilatérale, l’expression est lourde de sens : elle signifie que l’Algérie ne cherche pas la rupture mais aussi que ce qui reste de la relation ne tient qu’à un cheveu.

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