Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz dénonce un « acte terroriste » après le meurtre d’un fidèle dans une mosquée du Gard en France. Aboubakar a été sauvagement assassiné vendredi matin et le meurtrier présumé s’est rendu à la police en Italie ce lundi.
Pour le recteur de la Grande mosquée de Paris, ce meurtre survient dans un contexte de montée de la haine contre les musulmans en France. Chems-Eddine Hafiz lance un cri d’alerte pour agir contre l’islamophobie en France. Pour lui, le « temps est compté ».
Un homme vient d’être assassiné dans une mosquée en France. Vous avez exprimé votre immense effroi. Quel est l’impact de ce crime sur les musulmans de France ? Sont-ils inquiets ?
Cet acte de barbarie a frappé au cœur de ce que notre foi a de plus sacré : la prière, la maison de Dieu, le moment de recueillement. L’émotion est immense, mais l’inquiétude l’est tout autant.
Depuis des mois, nous assistons, impuissants, à la montée d’un climat de haine contre les musulmans, attisé sans relâche par des discours médiatiques et politiques irresponsables.
Ce drame révèle l’aboutissement de cette haine cultivée au grand jour, parfois même encouragée, malgré les condamnations judiciaires et les alertes de l’Arcom. Les musulmans de France se sentent de plus en plus vulnérables, abandonnés dans un silence assourdissant.
Les observateurs penchent pour la thèse du crime islamophobe du fait que la victime et l’assassin ne semblent pas se connaître…
Il n’y a guère de doute possible : cet acte porte toutes les marques d’un crime de haine et de discrimination antimusulmane.
Le choix du lieu, le moment de la prière, l’acharnement d’une violence inouïe, les insultes proférées, la revendication explicite de la haine, tout concourt à établir le mobile.
Ce n’est pas un conflit personnel, mais une haine dirigée contre ce que représentait Aboubakar : un musulman en prière.
Cette reconnaissance est essentielle non seulement pour rendre justice à la victime, mais aussi pour nommer le mal que notre société refuse trop souvent d’affronter : l’islamophobie meurtrière. Cet acte n’est pas un fait divers, c’est un acte terroriste.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est sous le feu des critiques après ce meurtre. Certains comme Dominique Sopo de SOS Racisme ont critiqué sa « discrétion ». Partagez-vous son avis ?
Je comprends la déception exprimée par beaucoup. Certes, le ministre a condamné l’acte, et nous saluons cette parole républicaine.
Mais face à un crime d’une telle gravité, dans un contexte où les mosquées sont régulièrement menacées et profanées, la seule condamnation ne suffit plus.
Il fallait une mobilisation immédiate, visible, à la hauteur de ce que ce crime représente pour la cohésion nationale. Nous attendions des gestes forts, des actes tangibles pour rassurer les musulmans de France. Il est encore temps d’agir, mais ce temps est compté.
Une partie de la classe politique a pointé du doigt le climat de haine et de suspicion entretenu autour de l’Islam et des musulmans en France, de la banalisation et de la libération de la parole raciste. Ce crime est-il un signal d’alarme ? Faut-il craindre d’autres attaques ?
Ce crime n’est pas un accident, il est l’enfant d’un climat délétère construit méthodiquement. Pendant des années, des voix politiques, des éditorialistes, des pseudos-experts ont nourri une suspicion généralisée à l’égard des musulmans. La libération d’une parole raciste, largement relayée par les médias, n’a rencontré que peu d’opposition.
Pire encore, certaines décisions judiciaires sanctionnant ces dérives, et même les mises en garde répétées de l’Arcom, n’ont pas empêché cette dynamique funeste.
La récente commission parlementaire sur les discriminations anti-musulmanes a conclu à des faits très graves. Et pourtant, dans un silence médiatique et politique glaçant, ses conclusions ont été enterrées. Oui, il faut craindre d’autres attaques si ce climat d’impunité continue.
Vous avez alerté à plusieurs reprises sur l’ampleur prise par l’islamophobie en France. Avez-vous été entendu ?
Hélas, nos alertes ont été perçues, au mieux, comme des exagérations, au pire comme des prises de position communautaires.
J’ai toujours parlé non pour défendre un groupe, mais pour défendre l’idéal de fraternité inscrit dans notre devise nationale. Aujourd’hui, les faits nous donnent raison dans la pire des tragédies.
Nous avons vu la justice reconnaître l’existence de discours haineux, l’Arcom mettre en garde les chaînes de télévision, des experts confirmer la banalisation de l’islamophobie : rien n’y a fait.
Nous avons été malheureusement trop peu écoutés. Il est temps que la France regarde en face ce fléau qui la ronge.
Le crime soulève aussi la question de la sécurité dans les lieux de culte musulmans. Que faut-il faire, renforcer la sécurité autour des mosquées ou lutter contre la banalisation de l’islamophobie ?
La réponse n’est pas « sécurité ou lutte contre l’islamophobie » : c’est les deux à la fois, et immédiatement. Protéger nos mosquées est une urgence pour éviter d’autres drames.
Mais ce ne sont pas des caméras de vidéosurveillance ni des patrouilles temporaires qui éradiqueront la racine du mal. Tant que l’islamophobie sera banalisée, promue, légitimée sur les écrans et dans les discours, tant que la haine trouvera des relais complaisants, aucun lieu ne sera véritablement sûr. Ce combat est un combat pour l’âme de notre République.