Le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a annoncé vendredi 14 mars avoir transmis à l’Algérie une première liste de 80 ressortissants algériens sous OQTF que la France a décidé d’expulser.
Une démarche qui s’apparente à une manière de forcer la main aux autorités algériennes et qui risque d’aggraver les tensions déjà vives entre les deux pays.
Sur CNews, Retailleau a expliqué que la liste contient des individus condamnés pour atteinte à l’ordre public. Ce sont « des ressortissants algériens, dont nous avons les preuves de leur nationalité », a-t-il précisé, insinuant qu’ils seront expulsés directement, sans solliciter des laissez-passer consulaires auprès des consulats d’Algérie en France.
OQTF : Bruno Retailleau lance le bras de fer avec l’Algérie
Pour le ministre de l’Intérieur, qui pousse depuis plusieurs mois à un « rapport de force » avec l’Algérie, ce sera « l’épreuve de vérité », indiquant que soit l’Algérie accepte les accords qui la lient avec la France, soit le gouvernement français mettra en œuvre « la stratégie de riposte graduée qui peut aller jusqu’à la remise en cause de l’ensemble de nos accords ».
Dans cette stratégie de « riposte graduée », Bruno Retailleau a rappelé que le gouvernement français a « déjà durci les conditions d’accueil pour un certain nombre de ressortissants algériens qui n’avaient pas toutes les pièces nécessaires pour rentrer sur le territoire français ».
Bruno Retailleau tente depuis le début de l’année de mettre l’Algérie devant le fait accompli des expulsions des ressortissants algériens sous OQTF, sans succès.
Le 10 janvier, il avait accusé l’Algérie de « chercher à humilier la France » après son refus, la veille, d’accepter d’accueillir l’influenceur expulsé de France, Doualemn. Depuis, plusieurs tentatives d’expulsion de ressortissants algériens ont échoué.
Algérie – France : Bruno Retailleau renouvelle ses menaces
Qu’en sera-t-il de la vague d’expulsions d’Algérien sous OQTF que s’apprête à effectuer le ministre de l’Intérieur ? Dans cette première liste, 80 personnes sont concernées, soit la moitié d’un avion de capacité moyenne.
Et la liste pourrait s’étirer, du fait que le même ministre de l’Intérieur a fait état précédemment de la présence de 700 algériens dans les centres de rétention administrative, soit 40 % du total des individus retenus dans ces centres.
Or, il est très peu probable, voire exclu, que l’Algérie accepte des expulsions groupées de ses ressortissants. On voit mal des vols charters d’expulsion atterrir dans les aéroports algériens.
Alger se prononce sur des dossiers individuels, au cas par cas, pour s’assurer de la citoyenneté algérienne de la personne expulsée et du respect de tous ses droits avant de faire l’objet d’une telle mesure.
Après l’expulsion ratée de l’influenceur Doualemn, le ministère des Affaires étrangères avait dénoncé le fait que ce ressortissant algérien, établi en France depuis 36 ans, n’ait pas pu exercer ses droits au recours devant la justice française et européenne.
La forme n’y est pas non plus dans cette nouvelle démarche de Bruno Retailleau. D’abord, par le fait que c’est lui qui parle, ce qui signifie que rien n’est réglé sur le plan politique.
Les immixtions du ministre de l’Intérieur dans ce dossier qui relève de la politique étrangère a fait beaucoup de mal à la relation bilatérale.
L’Algérie a signifié de la manière la plus claire et la plus officielle qui soit qu’elle ne veut pas avoir affaire à ce ministre qui représente la voix de la droite dure et de l’extrême-droite au sein du gouvernement français.
« Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays », a signifié le président de la République Abdelmadjid Tebboune dans un entretien accordé début février au journal français L’Opinion.
Même en France, la gestion de la crise avec l’Algérie par Retailleau suscite de nombreuses critiques. La députée écologiste Sabrina Sebaihi l’a vertement critiqué dans un entretien à TSA publié le samedi 8 mars. « Monsieur Retailleau doit encore penser que la France dispose d’un gouverneur général à Alger… ce temps est révolu », a-t-elle dit.
« Il y’a une sorte de privatisation de la question algérienne en France. C’est le ministre de l’Intérieur (Bruno Retailleau) qui parle de l’Algérie, c’est le Premier ministre qui parle de l’Algérie. Nous avons le sentiment que nous sommes revenus au temps des colonies », a critiqué le diplomate et ancien ministre algérien Abdelaziz Rahabi, le 5 mars dernier sur France 24. Il a ajouté que « l’Algérie n’est pas une question intérieure française, c’est avant tout une question diplomatique ».
Sur CNews, Pierre-Henri Bovis, avocat pénaliste, a également critiqué la monopolisation de la gestion de la crise avec l’Algérie par Bruno Retailleau. « Ce n’est pas à un ministre de l’Intérieur de dicter les relations diplomatiques de la France », a-t-il estimé.
Et pour ne rien arranger, Retailleau n’a pas dérogé à la règle et a accompagné son annonce de nouvelles accusations et menaces.
« Je ne veux pas demain qu’un autre Mulhouse se reproduise », a-t-il dit, en référence à l’attentat au couteau commis par un Algérien que l’Algérie aurait refusé d’accueillir.
Retailleau a aussi annoncé sa nouvelle démarche sous la forme d’une injonction inacceptable : soit l’Algérie accepte, soit c’est la riposte graduée et la remise en cause des accords.
Alger avait déjà signifié son rejet des « ultimatums et menaces » suite à des propos tenus le 26 février par le Premier ministre François Bayrou sur cette même question de liste de ressortissants algériens à expulser.
Vendredi 14 mars, Bayrou s’est montré plus prudent en évoquant les accords qu’il avait précédemment menacé de révoquer. « Nous mettons tout en œuvre pour que les engagements pris soient respectés dans le respect réciproque », a-t-il dit dans des déclarations à la presse.
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