Dans la tourmente depuis qu’il a comparé le massacre d’Oradour-sur-Glane et les enfumades durant la conquête française de l’Algérie, le journaliste français Jean-Michel Apathie a reçu un important soutien.
Benjamin Stora, l’un des plus grands spécialistes français de l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, a assuré que Jean-Michel Aphatie n’a point exagéré dans son appréciation de l’ampleur des massacres commis par l’armée française lors de la conquête de l’Algérie.
« Des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie » : Jean-Michel Aphatie lance un débat tabou
Le 25 février dernier, Jean-Michel Apathie a soutenu sur RTL que la France a commis « des centaines d’Oradour-Sur-Glane en Algérie » et a inspiré les nazis dans les crimes qu’ils ont perpétrés pendant la Seconde guerre mondiale.
Le massacre d’Oradour-Sur-Glane a eu lieu en juin 1944. Les habitants de ce village français, au nombre de 642, ont été brûlés vifs dans une église par l’armée allemande.
Jean-Michel Apathie a comparé ce massacre avec les enfumades qui ont eu lieu en Algérie pendant la conquête coloniale où des villages entiers ont été décimés.
La technique des militaires français consistait à asphyxier des villageois réfugiés ou enfermés dans une grotte. Ils allumaient des feux devant l’entrée qui consomment l’oxygène et inondent de fumée les grottes ou les habitants, piégées, meurent asphyxiés.
Cette comparaison a valu au journaliste de vives attaques et d’être suspendu par la direction de la radio. Loin de se démonter, Apathie a annoncé sa décision de quitter RTL.
« Si je reviens sur l’antenne de RTL, je la valide (sa suspension, ndlr), donc je reconnais avoir fait une faute. C’est un pas que je ne peux pas franchir », a-t-il déclaré.
Il avait précédemment assuré que tous les historiens qu’il a sollicités lui ont donné raison.
« Beaucoup d’historiens de la période de la conquête algérienne ont été sollicités. Tous m’ont donné raison sur la réalité des faits », a-t-il écrit sur X jeudi 6 mars.
Benjamin Stora à propos de la comparaison de Jean-Michel Apathie : « Une vérité historique »
Ce mardi 11 mars, l’historien Benjamin Stora s’est exprimé dans Libération et a confirmé que Jean-Michel Apathie n’a fait que lever le voile « sur une vérité historique méconnue du public ».
« Bien que l’analogie avec le nazisme puisse prêter à discussion sur le plan historique, la brutalité de la conquête coloniale française demeure une réalité longtemps passée sous silence », insiste l’historien né à Constantine en Algérie.
Pour lui, si le journaliste Apathie a choisi de comparer avec le massacre d’Oradour-sur-Glane, « un événement tragique largement ancré dans la mémoire collective française », c’est pour « mieux sensibiliser l’opinion publique » en France.
« Il existe des points de comparaison par l’ampleur des massacres commis », soutient Stora, qui évoque la philosophe Hannah Arendt qui estimait que « l’impérialisme européen a servi de laboratoire aux doctrines raciales et aux politiques bureaucratiques qui nourriront plus tard le totalitarisme ».
Benjamin Stora soutient Jean-Michel Apathie sans ambiguïté et qualifie sa suspension par RTL de « tentative de restreindre le champ de la critique historiographique ».
Quant aux attaques qui ciblent le journaliste, elles illustrent « clairement le danger auquel sont confrontés tous les chercheurs travaillant sur les thèmes du colonialisme et de l’esclavage ».
Pourquoi la France refuse-t-elle de regarder son passé colonial ?
« Il devient impossible de travailler sereinement pour établir ces vérités », « la liberté de la recherche est menacée » et « il y a un danger », s’alarme l’historien qui en veut pour preuve ce qui se passe aux États-Unis où se propagent « des théories fumeuses autour du wokisme ».
Spécialiste de l’histoire coloniale et auteur d’un rapport sur « la réconciliation des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie » remis en 2021 au président Emmanuel Macron, Benjamin Stora explique la réticence de la France à reconnaître son passé par le fait que « la conquête coloniale de la France a été justifiée par une ‘’mission civilisatrice’, et non par une prétendue supériorité raciale ».
Il impute aussi cet « effacement mémoriel » à l’absence de représentation de la conquête coloniale dans le cinéma français. « Contrairement aux Etats-Unis, qui ont mis en scène la conquête de l’Ouest, la France n’a jamais porté à l’écran la conquête sanglante de l’Algérie et ses massacres », relève-t-il.
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