En ce début de mois de ramadan, les prix de la viande rouge locale restent élevés en Algérie. Jusqu’à 2.800 DA/kg alors que le salaire minimum est de 20.000 DA. Si l’importation de viande depuis le Brésil a permis d’éviter une envolée des prix, la baisse n’est pas aussi importante que souhaitée.
Si l’organisation des marchés reste parfois opaque et permet à des intermédiaires de profiter de marges exagérées, il reste que la production locale de viandes demeure insuffisante face à une demande croissante.
Dans le cas de la viande de bœuf, l’arrêt des importations de jeunes veaux destinés à l’engraissement a été motivé par une décision des services vétérinaires pour cause de maladie hémorragique épizootique (MHE) apparue en France et en Espagne. Une décision qui a mis à l’arrêt la filière engraissement.
Ces arrêts justifiés ont permis que cette maladie ne se propage en Algérie. Si la MHE n’est pas systématiquement mortelle, les vaches atteintes peuvent avorter et en cas de naissance, l’insuffisance de lait de la mère provoque un retard de croissance des jeunes veaux.
Décembre 2023, Miloud Bouadis le patron du Conseil Professionnel Commun de la filière viande rouge et éleveur spécialisé dans l’engraissement de veaux faisait visiter à Ennahar Tv son étable. Les boxes étaient vides, pas un seul veau ne s’y trouvait.
A l’époque, il ne décolérait pas : « Cette année, c’est particulier. Car auparavant les étables étaient remplies. D’habitude nous nous préparons au ramadan en anticipant le démarrage de l’engraissement de jeunes veaux pour qu’ils soient prêts à cette date-là et que la viande soit disponible. »
Il avertissait : « Nous le déclarons officiellement : il n’y aura pas de veaux engraissés pour le ramadan » et expliquait le pourquoi : « Il reste 4 mois avant le ramadan, or pour engraisser un veau il faut 5 à 6 mois. C’est trop tard. Que voulez-vous que l’on fasse ?
Concernant l’organisation des importations, ce professionnel ajoutait : « Nous, on connaît notre travail. Il y a des professionnels qui ont 20 ans d’expérience. On souhaite que les avis des véritables professionnels soient pris en considération ».
La production locale de veaux mâles reste insuffisante pour pallier l’arrêt des importations d’autant plus que la sécheresse de l’année passée a amené à une décapitalisation. Face au coût élevé de l’aliment, des éleveurs ont préféré abattre une partie de leurs vaches laitières. Le phénomène a été tel que les services agricoles ont interdit ce type d’abattage préjudiciable à la production locale de lait.
Ces dernières années, les subventions à la production d’ensilage de maïs irrigué ont permis un développement des cultures fourragères. Cependant, face à une sécheresse qui a touché de nombreuses wilayas, le recours à l’achat de fourrages a plombé le revenu des exploitations laitières.
Le problème réside donc dans le manque d’autonomie fourragère de nombreuses exploitations. L’élevage n’est rentable que si l’éleveur produit la plus grande partie de ce que consomment ses bêtes.
De nombreuses études universitaires montrent qu’en zone de montagne de nombreux éleveurs ne disposent pas assez de surfaces fourragères. Dans certains cas, les vaches sont nourries, tout le temps, à l’auge sans jamais aller dans des pâturages.
Face à cette situation, des coopératives telle celle de la Vallée de la Soummam organisent l’importation de balles rondes de maïs ensilage depuis les wilayas excédentaires.
Des moutons sur des parcours desséchés
Dans le cas de la viande de mouton, la sécheresse qui frappe de plein fouet l’Algérie depuis des années, a grandement affecté les éleveurs. Dans plusieurs wilayas les troupeaux erraient sur des parcours desséchés à l’herbe rare.
Quand il était possible de faucher mécaniquement les tiges de blé desséché, les agriculteurs ont pu tirer de leurs parcelles sinistrées quelques balles de paille. Quand les tiges étaient trop courtes, ces champs ont été loués comme parcours aux éleveurs.
Cela a permis un répit à quelques éleveurs, cependant cela ne pouvait suffire. La sécheresse a été telle que certains agriculteurs ont été jusqu’à ramasser à la main ces tiges desséchées.
Au niveau des parcours steppiques, la sécheresse a réduit l’offre. En octobre dernier, Laïd Benhamadi, le représentant de l’Union nationale des paysans algériens (Unpa) à El Bayadh analysait la situation : « Il n’a pas plu durant des mois et la valeur alimentaire des pâturages est passée de 150 unités fourragères à l’hectare [soient 150 kg d’orge] à 50 unités. Quant aux zones de parcours protégées (mahmiyates), leur valeur alimentaire est passée de 240 à moins de 100 unités fourragères. Sur les 1.300 éleveurs recensés ces 5 dernières années, un tiers a renoncé à l’élevage. »
Face à l’impossibilité de faire paître leurs animaux, les éleveurs se sont rabattus sur l’orge et les issues de meunerie tel le son. Ils ont également été obligés d’acheter des bottes de foin et de paille. Face à la demande, les prix de tous ces types d’aliments ont flambé. Comme pour les éleveurs laitiers, les éleveurs de moutons ont alors décapitalisé.
A Mené À, Djeloul Cheyache un éleveur confiait en 2023 à Ennahar Tv : « Au Sud, nombreux sont les éleveurs qui ont réduit les effectifs de leur troupeau. Au mieux, ils ont conservé 150 brebis ».
L’eau pour produire des fourrages
Plus que jamais la production animale repose sur la disponibilité en eau. Si la wilaya de Ghardaïa est devenue le premier pôle laitier autosuffisant en fourrage en Algérie, c’est grâce à la mobilisation de l’eau souterraine. Très tôt à Menéa, l’exploitation Hedjadj a innové dans la production d’ensilage de maïs et a été suivie par ses voisins.
Assis dans l’herbe de sa prairie irriguée par pivot, Djeloul Cheyache témoignait également des possibilités de son exploitation de produire de la viande rouge à des prix imbattables.
Dans la prairie, des brebis accompagnées de leurs agneaux broutaient une herbe drue, également appréciée d’un groupe de dromadaires. En arrière-plan, les tiges de son champ de maïs approchaient les 3 mètres de haut.
Vêtu d’un qamis d’une blancheur immaculée, cet éleveur confiait : « Je suis capable de produire de la viande à un prix accessible à tous et de l’envoyer à Alger ou Oran, mais à condition qu’on me donne les autorisations nécessaires ».
Au Nord, la production de fourrages non irriguée sur de grandes surfaces en alternance avec les céréales reste également une option. Cependant cela suppose de proposer aux agriculteurs des techniques nouvelles qui permettent de réduire les coûts de culture.
Que ce soit en élevage bovin ou ovin, les marges de progrès restent importantes en Algérie. Malgré la connaissance pratique des éleveurs, les techniques d’élevage restent sommaires tant en ce qui concerne la sélection génétique du cheptel que l’élaboration des rations alimentaires ou la qualité des bâtiments d’élevage.
Quel avenir pour la filière des viandes rouges ?
L’observation des cartes du cumul annuel des pluies en Algérie à 50 ans d’intervalle matérialisée par la couleur bleue est saisissante. Elle montre la disparition de cette couleur sur tout l’Ouest du pays et son rétrécissement sur le Nord.
En dehors de la période du mois de ramadan, il devrait être nécessaire à l’avenir de s’interroger sur la place de la viande rouge dans la fourniture aux consommateurs de protéines animales. A cet égard, le programme de relance de la culture des légumes secs est intéressant pour son apport en protéines végétales.
L’importance de l’eau pour les productions agricoles amènent une remarque de l’agro-économiste Nadjb Akesbi très critique vis à vis de l’utilisation des ressources en eau au Maroc : « Au niveau de la politique agricole, il apparaît maintenant clairement que ce sont désormais les choix de production qui devront être subordonnés aux contraintes de l’eau et non l’inverse. » Une remarque qui pourrait à l’avenir concerner l’ensemble des pays du Maghreb.
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