En décidant d’ester en justice, Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 pour « Houris », Saada Arbane qui accuse l’écrivain de s’être inspiré de sa propre histoire pour écrire son roman, la polémique prend de nouvelles proportions et sa consécration pourrait virer au scandale.
En effet, selon la chaine de télévision privée One TV, cette rescapée d’un massacre durant les années 1990 a officiellement décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.
Dans cette optique, un groupe d’avocats « algériens et de l’émigration », conduit par Fatma Benbraham s’est constitué dans cette affaire dans laquelle Saada Arbane accuse l’auteur de « Houris » d’avoir « violé un secret médical » et d’avoir « exploité des informations personnelles de manière illégale ».
La plainte vise également l’épouse de l’écrivain, psychiatre, qui fût sa thérapeute. Dans ses témoignages diffusés vendredi 15 novembre sur One TV, Saada Arbane accuse Kamel Daoud de s’être approprié sa propre tragédie survenue durant la décennie noire en reprenant son histoire qu’elle avait confiée à la psychiatre.
Selon elle, il y’a de grandes similitudes entre le personnage principal de Houris, Aube, et sa propre histoire qu’elle souhaitait garder en secret.
« Il y a trois ans, j’ai été invitée par Mme Daoud à prendre un café chez eux, cité Hasnaoui [à Oran]. Kamel Daoud m’a alors demandé s’il était possible de raconter mon histoire dans un roman, j’ai refusé », avait-elle confié.
Ces révélations inattendues de la jeune femme n’ont pas manqué de provoquer un tollé sur la toile, à telle enseigne que certains ont réclamé carrément à l’Académie Goncourt de retirer le prix au lauréat.
Face à l’ampleur de la polémique alimentée par la sortie de la jeune femme, la maison Gallimard, éditrice du roman, a réagi lundi en dénonçant des « campagnes diffamatoires ».
« Si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels », a indiqué Antoine Gallimard, l’éditeur de Kamel Daoud.
Kamel Daoud ni un opposant, ni le seul écrivain algérien à avoir écrit sur la décennie noire
« Depuis la publication de son roman, Kamel Daoud fait l’objet de violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature », a estimé le dirigeant de Gallimard, présentant ainsi l’écrivain franco-algérien au pouvoir algérien.
Mais, ni l’Académie Goncourt, ni Kamel Daoud n’ont réagi pour l’heure aux révélations et accusations de Saada Arbane.
Dans un entretien accordé au « Nouvel Obs » en septembre dernier, Kamel Daoud avait admis s’être inspiré de faits réels pour la rédaction de son roman.
« Oui, j’ai connu une femme avec une canule, mais pas qu’une seule mutilée, puisque l’égorgement était le modus operandi des islamistes. Cette image a provoqué chez moi un déclic puissant pour ce que je n’arrivais pas à dire ».
Invité dimanche soir de la chaine suisse RTS, l’ancien chroniqueur du Quotidien d’Oran, assure de nouveau : « Ce que je raconte dans ce roman, ce sont des histoires vraies. J’ai amalgamé des personnages qui ont vraiment existé ».
En attendant l’issue de ce qui pourrait être qualifiée de « l’affaire Daoud », cette levée de boucliers en Algérie, le silence de l’écrivain et la réaction de Gallimard viennent de traduire de nouveau et sans aucun doute le caractère éminemment politique de l’attribution du prix Goncourt 2024.
Si pour ses contempteurs, Kamel Daoud récolte les fruits de sa convergence idéologique avec ceux qui en France, particulièrement au sein de l’extrême droite, comme en témoignent leurs réactions à sa consécration, ont des comptes à régler avec l’Algérie, notamment à travers ses positions sur les femmes, la Palestine et l’Islam, pour ses soutiens, en revanche, il est victime d’une « cabale » orchestrée qui ne dit pas son nom.
Mais Kamel Daoud n’est ni un opposant en Algérie – du moins jusqu’à son départ et son installation définitive en France en 2023 -, comme tente de le présenter sa maison d’édition, ni le seul écrivain à avoir écrit sur la tragédie de la décennie noire.
Dans un contexte de tensions entre Alger et Paris, le prix se décline, au regard de l’intensité de la polémique, comme une pierre jetée dans le jardin algérien. C’est dire que l’affaire ne risque pas d’être close de sitôt.