L’affaire Boualem Sansal connaîtra peut-être son épilogue dans deux jours. Le tribunal correctionnel de Dar El Beïda (Alger) rendra son verdict ce jeudi 27 mars à partir de 9 h 00 du matin en ce qui concerne le procès de l’écrivain franco-algérien qui a eu lieu jeudi dernier.
Comme le veut la procédure, le tribunal prononcera sa sentence en audience publique. Lors du procès qui s’est déroulé jeudi 20 mars, le parquet a requis 10 ans de prison ferme et 1 million de dinars d’amende à l’encontre de l’écrivain franco-algérien.
Boualem Sansal : une affaire au cœur des tensions entre Alger et Paris
En Algérie comme en France, tous les regards seront braqués sur ce tribunal de la banlieue Est de la capitale algérienne, tant ce n’est pas seulement le sort d’un homme qui est en jeu, mais aussi en partie l’avenir immédiat de la relation entre les deux pays qui est plongée dans une crise inédite.
L’arrestation de Boualem Sansal, le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger, a aggravé la crise entre Alger et Paris, déclenchée le 31 juillet dernier par l’annonce de l’alignement de la France sur les thèses marocaines dans le dossier du Sahara occidental.
L’écrivain âgé de 76 ans est né et a toujours vécu en Algérie où il a exercé dans la haute administration, comme directeur au ministère de l’Industrie notamment.
Il a été naturalisé Français en 2024. C’est sa nationalité française nouvellement obtenue qui est mise en avant en France pour réclamer sa libération, notamment par l’extrême-droite qui a saisi au vol cette affaire pour redoubler ses attaques contre l’Algérie.
Sansal a été interpellé et incarcéré à Alger quelques semaines après avoir gravement remis en cause les frontières actuelles de l’Algérie, soutenant dans un entretien diffusé par le média français d’extrême-droite Frontières que la France coloniale avait tronqué le territoire marocain au profit de l’Algérie.
Au cours de l’instruction, d’autres accusations sont venues se greffer à cette atteinte à l’intégrité du territoire national, les enquêteurs étant tombés lors de l’exploitation du téléphone et de l’ordinateur du prévenu sur des discussions et des documents compromettants.
Affaire Sansal : les accusations et la stratégie de défense de l’écrivain
L’écrivain est poursuivi pour une série de chefs d’accusation, dont « atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué, actes susceptibles de nuire à l’économie nationale et détention de vidéos susceptibles de porter atteinte à la sécurité du pays ».
À l’audience de jeudi dernier, Sansal, qui a assuré lui-même sa propre défense pour avoir déconstitué précédemment son collectif d’avocats dont François Zimeray, avait choisi comme stratégie de ne rien nier des faits, mais de rejeter la qualification qui en est faite par l’accusation, estimant que les propos qui lui sont reprochés relèvent de sa liberté d’expression. Y compris les discussions retrouvées dans sa messagerie avec deux ambassadeurs de France en Algérie.
Dans un entretien accordé au journal français L’Opinion début février, le président de la République Abdelmadjid Tebboune avait souligné les accointances douteuses de Sansal avec certains personnages en France connus pour leur hostilité à l’égard de l’Algérie, citant nommément l’ancien ambassadeur à Alger Xavier Driencourt et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Ces deux derniers ne cachent pas leur amitié avec l’auteur de « 2084, la fin du monde ». Bruno Retailleau fait même de la libération de Sansal une affaire personnelle dans son bras de fer avec l’Algérie.
Boualem Sansal est « un problème pour ceux qui l’ont créé. Jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets. C’est une affaire scabreuse visant à se mobiliser contre l’Algérie », a-t-il dit.
Driencourt et Retailleau sont, en effet, aux avant-lignes de la campagne anti-algérienne qui est antérieure à l’arrestation de l’écrivain. Le ministre de l’Intérieur est allé jusqu’à menacer publiquement de démissionner si la France « cède devant l’Algérie », entre autres, sur la libération de celui qu’il présente comme son « ami ».
Plus mesurés, les officiels français ont aussi réclamé la remise en liberté de l’écrivain. Le président Emmanuel Macron a estimé le 6 janvier qu’en maintenant en détention Boualem Sansal, l’Algérie « entre dans une histoire qui la déshonore ».
Un possible signal d’apaisement ?
Pendant les 4 mois que l’écrivain a passés derrière les barreaux, les accusations sont allées bon train, colportées par le courant extrémiste en France, sur les conditions de sa détention, la dégradation de son état de santé ou encore des pressions qu’il aurait subies pour déconstituer son avocat français et « juif » François Zimeray.
La tenue du procès publiquement a toutefois permis de tout démentir. L’accusé a paru en forme et a assumé sa décision de prendre lui-même en charge sa défense, sans rien dénoncer.
Sans anticiper sur la décision finale du juge, le Bâtonnier d’Alger Si Mohamed Baghdadi voit dans la programmation même du procès, avec une certaine célérité et la requalification des faits de crimes en délits, une volonté d’apaisement.
« Compte tenu de la conduite du dossier, du réquisitoire du parquet, de la façon de mener le réquisitoire, de la déqualification, moi, je pense que ça va vers une forme de traitement du dossier par rapport à la personnalité, c’est-à-dire que c’est quand même un monsieur âgé, qui est fatigué, qui est malade et qui n’a pas d’antécédents judiciaires », a déclaré le bâtonnier d’Alger à TSA le jour du procès. Cela ne préfigure en rien du verdict qui sera rendu ce jeudi 27 mars.
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