Boualem Sansal a été jugé jeudi 20 mars devant le tribunal correctionnel de Dar El Beida (Alger). L’écrivain franco-algérien proche de l’extrême-droite a pu s’exprimer au cours d’une audience publique à l’issue de laquelle l’opacité et le secret autour de cette affaire se sont dissipés dans une large mesure.
À travers les questions du juge et les réponses de Sansal, on connaît désormais avec plus de précision les faits qui ont valu à l’écrivain de se retrouver devant la justice algérienne. Des faits qu’il n’a pas niés, tout en rejetant qu’ils soient attentatoires à l’Algérie, à son unité ou à ses institutions.
Procès Boualem Sansal : l’opacité se dissipe
Le procès a permis de tordre le cou à beaucoup de contre-vérités. L’auteur de « 2084, la fin du monde », est entré dans la salle d’audience sans menottes, très à l’aise et surtout très en forme, contrairement à ce qui se disait ces dernières semaines à propos de la dégradation de son état de santé, raconte le journal Echorouk.
Au juge, il a signifié qu’il est apte à assurer lui-même sa défense, confirmant sa décision de déconstituer ses avocats. Il n’a pas fait état de “pressions”, comme cela avait été rapporté, pour révoquer son avocat français et “juif” François Zimeray.
L’écrivain franco-algérien a été arrêté le 16 novembre à l’aéroport d’Alger à son retour de France, quelques semaines après avoir soutenu dans un média français d’extrême-droite (Frontières) que l’ouest algérien appartenait historiquement au Maroc.
À la lecture de l’arrêt de renvoi, il s’est avéré que Sansal fait face à plusieurs autres chefs d’accusation : atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué, actes susceptibles de nuire à l’économie nationale et détention de vidéos susceptibles de porter atteinte à la sécurité du pays. Des accusations que le prévenu a niées en bloc.
Comme l’a expliqué le Bâtonnier d’Alger Si Mohamed Baghdadi dans un entretien à TSA publié jeudi 20 mars, “c’est une audience rapide qui peut se faire de la manière la plus simplifiée qui soit” du fait qu’il y a un seul prévenu et qu’il n’y a pas d’avocats ni d’adversaires.
L’audition de Boualem Sansal a duré en tout et pour tout une vingtaine de minutes, selon le compte-rendu d’Echorouk.
Sa stratégie de défense est de reconnaître la plupart des propos et écrits qui lui sont reprochés tout en rejetant la qualification qui en est faite par l’accusation, arguant qu’ils entrent dans le cadre de la “liberté d’expression”.
Des questions du juge, on a appris que nombreux faits lui sont reprochés autres que les propos qu’il a tenus en octobre dernier dans son entretien à Frontières. L’exploitation de son téléphone et de son ordinateur ont permis aux enquêteurs de tomber sur de nombreux documents jugés « compromettants », selon la même source.
À commencer par ce message dans lequel l’écrivain aurait exprimé à un membre du MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) son “bonheur” de tout ce que fait le mouvement classé terroriste en Algérie. C’est l’un des rares faits que le prévenu a nié.
Boualem Sansal se défend de porter atteinte à l’Algérie
À un ancien ambassadeur de France en Algérie, Boualem Sansal aurait tenu ces propos : “Je suis content, nous avons le pétrole et Chanegriha (le chef d’état-major de l’ANP, ndlr)”.
Pour l’accusé, il n’y a aucune arrière-pensée ou attaque derrière cette phrase, bien au contraire. “Nous sommes amis, nous échangeons des messages. J’ai décrit la réalité de la situation financière et sécuritaire de l’Algérie. J’ai exprimé mon bonheur de la stabilité financière et sécuritaire de notre pays. Il n’y a aucune ironie ni outrage”, a-t-il dit.
Il est aussi reproché à Boualem Sansal la teneur d’un article retrouvé dans ses supports numériques, traitant de la puissance militaire de l’Algérie. “J’ai exprimé mon avis en tant que citoyen algérien sans aucune intention de porter atteinte à l’institution militaire que je respecte beaucoup”, a-t-il répondu.
Le juge a signifié au prévenu qu’il a aussi propagé à travers une interview télévisée de “fausses informations” et critiqué des “décisions de l’État”. “J’ai exprimé mon avis et mes préoccupations en tant que citoyen algérien. J’ai décrit la situation que je vis comme tous les Algériens, sans aucune intention d’outrage”, a répondu Boualem Sansal.
Dans son réquisitoire, le procureur a insisté sur la gravité des faits, prouvés par les documents retrouvés dans le téléphone et l’ordinateur du mis en cause. Il a requis une peine de 10 ans de prison assortie de 1 million de dinars d’amende. Le verdict sera rendu jeudi 27 mars.