Le bâtonnier d’Alger Si Mohamed Baghdadi évoque dans cet entretien à TSA Algérie le procès de Boualem Sansal. L’écrivain franco-algérien a été jugé ce jeudi 20 mars devant le tribunal de Dar El Beida à Alger. Le procureur a requis 10 ans de prison ferme et le verdict sera rendu le 27 mars.
Me Baghdadi nous parle de la procédure et répond aux accusations de l’ex-avocat français de Sansal, François Zimeray, qui a dénoncé un « procès fantôme » et annoncé une plainte contre l’Algérie devant le commissariat aux droits de l’homme de l’ONU.
Boualem Sansal a été jugé ce jeudi 20 mars et son avocat français ou ex-avocat François Zimeray a dénoncé un « procès fantôme ». Que répondez-vous en tant que bâtonnier d’Alger ?
Je me demande de quoi il tire le fait qu’il est son avocat. Moi, je savais par mes confrères désignés pour la défense de M. Sansal qu’il a déconstitué tous ses avocats, y compris mon confrère François Zimeray.
Donc je pense qu’il n’est pas habilité, ne serait-ce que sur le plan de la déontologie, à se prononcer pour lui. Et en plus, aujourd’hui, M. Sansal s’est exprimé publiquement et il a dénié à qui que ce soit cette qualité en disant qu’il est apte à se défendre tout seul et qu’il n’a pas besoin d’avocat. Il a même insisté à ce que ça soit mis sur le procès-verbal.
Sansal a été jugé sans l’assistance d’un avocat. Est-ce que c’est légal ?
En matière criminelle, c’est une obligation. L’accusé doit comparaître avec sa défense et on lui désigne un avocat s’il n’en a pas.
Cependant, on n’est pas en matière criminelle. Je suis moi-même agréablement surpris puisqu’il y a eu une forme d’apaisement, le juge d’instruction a requalifié les faits en considérant que ce sont beaucoup plus des délits.
En matière correctionnelle, la constitution d’un avocat n’est pas obligatoire. Donc, le juge peut juger correctement, sans enfreindre la loi, quelqu’un qui se présente sans avocat.
Et concernant le fait que la tenue du procès ne soit pas annoncée ?
On m’a posé la même question ce matin. Ma réponse est que si j’étais constitué dans ce dossier et on ne m’a pas averti, j’aurais dit oui, il y a infraction.
Or, je ne suis pas constitué et je ne suis donc pas censé savoir toutes les affaires qui sont renvoyées. Ce n’est pas parce qu’elle est médiatisée que ce n’est pas une affaire comme une autre.
La justice a fait preuve d’une certaine célérité dans le traitement de cette affaire. Pourquoi ?
Lorsque j’ai eu à intervenir publiquement sur cette affaire, j’ai émis le souhait qu’on accélère la procédure pour qu’on mette fin à toute cette opacité qui est voulue par l’intéressé lui-même.
Le juger très rapidement répond aux principes mêmes qui régissent la bonne gestion de la procédure judiciaire. Plus vite on renvoie quelqu’un après avoir fait une bonne instruction, et mieux ça vaut.
Ça évite de garder les gens éternellement dans une situation de dépendance en étant prévenu, accusé ou détenu, comme c’est le cas de M. Sansal.
C’est un dossier qui a été hyper médiatisé. Je pense que c’est une décision très intelligente de tenir le procès rapidement et publiquement, devant les journalistes.
Ce qui permet de savoir exactement ce qui s’est passé et de lever le voile sur un dossier qui est en somme tout à fait normal.
On l’a jugé rapidement ? Je pense que c’est bien et je souhaite que tous les procès, sans les tenir évidemment dans la précipitation, soient tenus le plus rapidement possible, surtout quand il y a des détenus.
Avez-vous assisté au procès de Sansal ?
Non, j’étais occupé par ailleurs, mais j’ai laissé là-bas des confrères pour suivre un peu le déroulement du procès, donc je sais ce qui s’est passé.
Pour le déroulement de l’audience, je dirais que c’est une banalité. Il y a un seul prévenu, donc c’est une audience rapide qui peut se faire de la manière la plus simplifiée qui soit.
Il n’y a pas d’avocats, il n’y a pas d’adversaires. Je n’ai pas d’autre appréciation à faire parce que franchement, je ne connais pas le dossier à part ce que m’ont dit mes confrères qui étaient à l’origine constitués.
Et sur l’ensemble de la procédure ?
Sans me prononcer sur le bien-fondé ou pas des accusations, il s’agit d’une procédure tout à fait normale. Le juge a entendu le prévenu et a ordonné une commission rogatoire. Lorsque la défense était constituée, j’étais informé du déroulement de la procédure. Le juge a fait normalement la procédure.
La programmation du procès est une manière d’en finir avec cette histoire ?
On peut avoir cette lecture, c’est une question de point de vue. Compte tenu de l’ampleur que cela a pris, c’est une façon aussi de faire en sorte qu’il y ait une accélération judiciaire de manière à permettre d’aller vers une forme de décrispation.
Vous vous attendez à quel verdict après le procès d’aujourd’hui ?
Sur ça, je ne peux pas me prononcer. D’ailleurs, je me suis toujours abstenu d’aller sur des pronostics.
Ce que je peux dire c’est que, compte tenu de la conduite du dossier, du réquisitoire du parquet, de la façon de mener le réquisitoire, de la déqualification, je pense que ça va vers une forme de traitement du dossier par rapport à la personnalité, c’est-à-dire que c’est quand même un monsieur âgé, qui est fatigué, qui est malade et qui n’a pas d’antécédents judiciaires. Ce sont des éléments qui comptent dans le cadre de la procédure.
Tout à l’heure, vous évoquiez un « apaisement »…
Ce n’est pas l’avocat qui parlait. Je le disais par rapport à l’ampleur qu’a pris le dossier. Pour couper court à son hyper médiatisation, il fallait le rendre public, il faut que tout le monde sache.
Je pense que ce qu’on voulut faire les autorités judiciaires, c’est plus vite on le met dans le public, et mieux ça vaut.
Aujourd’hui, on sait ce qu’il y a, parce qu’il y a eu des débats. M. Sansal s’est exprimé et il a dit clairement qu’il ne voulait pas de défense.
Ce sont des éléments qui sont quand même très importants et qui peuvent au moins calmer certaines parties qui, aujourd’hui, spéculent sur le fait qu’il ne soit pas assisté.
Or, c’est son choix, on ne peut pas forcer quelqu’un à prendre un avocat. Donc c’est son choix de ne pas être défendu par quelque avocat que ce soit d’ailleurs, il ne s’agit pas d’être sélectif.
Aujourd’hui, si on parle d’apaisement, c’est beaucoup plus dans le sens où on gère une situation de la manière la plus rapide et la plus simple possible pour éviter cette hypermédiatisation, ce dont ont horreur les juges et les avocats d’ailleurs.
Avez-vous des informations sur les raisons qui ont poussé Sansal à déconstituer ses avocats ?
Je n’ai pas à me prononcer sur ça. Ce sont des raisons personnelles. Moi, je suivais de loin, je n’ai pas le droit de m’approcher du dossier. Puisque je ne suis pas constitué, je ne peux pas interférer.
D’ailleurs, ne serait-ce que pour ne pas toucher à la volonté de l’intéressé. Avant d’être constitués, mais confrères lui ont signifié que le bâtonnier était à sa disposition. Oui, j’étais à sa disposition pour apporter toute assistance possible. C’est mon obligation, rien de plus.
L’avocat Zimeray a annoncé qui saisira le Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme contre l’Algérie. La procédure pourra-t-elle aboutir ?
Je serai curieux de savoir ce qu’il va déposer devant le commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme. Je n’ai pas à défendre des gens capables de le faire, ni les autorités judiciaires, ni les autorités politiques, ce n’est pas mon rôle.
Mon rôle est de veiller à ce que les droits de la défense soient respectés et que les procédures soient respectées. Jusqu’à preuve du contraire, parce qu’il y avait des confrères qui étaient constitués et qui me rapportaient au quotidien ce qui se passait dans le dossier, c’est un dossier, et je peux vous le dire et vous le garantir, qui était mené de la manière la plus lucide, la plus simple et la plus transparente possible.
Transparente, dans le sens judiciaire, dans la mesure où c’était une procédure qui obéissait à des règles et notamment au secret de l’instruction.
Mes confrères m’ont rapporté ce qu’ils pouvaient bien me rapporter en tant que bâtonnier. Et là, je peux dire que je n’ai pas vu une seule fois une violation quelconque des droits de l’Homme.
Pour ceux qui diraient que le procès s’est tenu dans la précipitation, il faut demander à l’intéressé, c’est lui-même qui a demandé à ce qu’il soit jugé le plus rapidement possible et c’est lui qui nous a surpris en disant qu’il ne veut pas d’avocat. Donc de quel droit voulez-vous qu’on parle ?
Êtes-vous satisfait de la tenue du procès de Boualem Sansal ?
Je suis satisfait parce qu’en fait, ça répondait à un de mes vœux : plus vite on en finit et mieux ça vaut.
Mon vœu, c’était qu’on mette devant le public un examen de tous les juristes, les avocats et tous ceux qui sont concernés pour voir effectivement s’il y a ou pas altération ou atteinte aux droits de la défense, aux règles de procédure, aux choses précieuses que nous défendons.
C’est ce qui m’intéresse. On peut spéculer sur le reste, l’apaisement, la recherche d’une solution, ça ce n’est pas le juriste ou l’avocat qui peut vous en parler.