TRIBUNE. « Un problème bien posé est à moitié résolu », H. Bergson
N’ayant jamais été un Empire, le Maghreb dans sa diversité, a continuellement résisté face aux désirs des puissances qui voulaient le digérer.
Cependant, la mentalité d’assiégé qu’il s’est forgé ne peut lui permettre de se développer harmonieusement et de trouver son chemin vers la prospérité.
En attendant qu’un jour les trois (ou cinq ?) États qui le constituent puissent renouer avec l’époque des Almohades et s’offrir la dimension d’un pôle de prospérité et même d’État-civilisation, chacun d’entre eux doit réfléchir à bâtir les conditions de sa propre souveraineté.
Au vu de son histoire, l’Algérie doit garantir son existence en renforçant les moyens de sa souveraineté. Cependant, aucun État ne peut survivre dans l’autarcie. Comment alors assurer sa sécurité, sa stabilité politique et sa prospérité, sachant par ailleurs que les dynamiques de crise de la géopolitique actuelle deviennent dangereuses ?
Pour l’Algérie, ses choix stratégiques touchant à sa sécurité et à sa souveraineté tant politique qu’économique ont été largement surdéterminés par son histoire récente, sa lutte armée contre le colonialisme, sa tentative de construction d’un État postcolonial.
Algérie : l’industrie industrialisante, c’est finie !
Elle devait affronter ce défi alors qu’elle n’avait ni élite, ni entrepreneurs, ni économie, ni même une culture administrative sinon le leg d’une bureaucratie jacobine qui, depuis 132 ans, avait été au service de la colonisation.
Soixante-deux ans après l’obtention de son indépendance en 1962, l’Algérie n’a pas encore trouvé toutes ses marques. En particulier, elle n’arrive pas à concilier son besoin d’indépendance avec sa dépendance économique.
Durant les années soixante-dix du siècle passé, elle voulut instruire en masse pour faire sortir le peuple de l’ignorance et d’un analphabétisme généralisé.
Elle s’engagea à construire un tissu productif à travers la doctrine de « l’industrie industrialisante » et mena une « révolution agraire » qui voulait rendre justice à une paysannerie qui, bien que reléguée dans la misère par l’Empire français, elle forma l’essentiel du contingent libérateur du pays.
L’État socialiste, centralisateur, s’appuyant sur une armée populaire et un parti unique échoua finalement, après trois décennies, à mettre le pays sur l’orbite de la modernité.
Trop de facteurs défavorables empêchèrent le projet d’aboutir : l’exploitation de l’identité, la politisation de la religion, l’absence d’une élite formée, les rigidités d’une « démocratie populaire » sans assise cohérente… tout cela déboucha sur une crise profonde qui prit la forme d’un terrorisme névrotique.
Au début des années 2000 et durant 20 ans, l’Algérie tenta un autre chemin ; libéral cette fois-ci. Le monde unipolaire s’était déjà imposé depuis une décennie au moins.
L’architecture géopolitique semblait alors définitive. La place assignée à l’Algérie dans la nouvelle division du travail mondiale ne pouvait qu’être modeste.
Elle devait continuer à panser ses plaies internes pour éviter tout débordement populaire, vendre ses hydrocarbures et en retour ouvrir ses marchés à des partenaires de plus en plus exigeants et entreprenants.
Les Empires du passé manifestaient de nouveau de l’appétit, face à un pouvoir national fatigué, divisé et sans ambition sinon celle de son propre maintien à la tête de la rente.
En 2019, le peuple mit fin à l’agonie. Mais, depuis, le pays est en suspens, sans leadership, sans vision, sans projet clair, sans dessein.
En attendant d’affronter les mutations inévitables de la nature même du régime politique, le positionnement du pays sur l’échiquier géopolitique et géoéconomique devra être intelligemment et subtilement défini.
La doctrine de l’industrie industrialisante est finie. La haute technologie est inaccessible pour longtemps encore. Les hydrocarbures sont promis au déclin.
La stratégie du pouvoir qui est de gérer l’économie par la bureaucratie, de maintenir la paix sociale par la redistribution de la rente et de faire rêver le peuple avec de vieux slogans ne pourra pas assurer l’avenir.
L’Algérie doit négocier un rôle viable pour elle à long terme dans l’économie mondiale. Elle doit absolument assurer sa souveraineté mais s’ouvrir concomitamment à des partenaires dans une relation mutuellement gagnante sans succomber aux ambitions des Empires.
L’Algérie, un pays pivot
L’Algérie pourrait jouer le rôle d’une articulation entre l’Occident et l’Orient, entre l’Occident libéral et le Sud global.
Elle doit pouvoir équilibrer ses relations en se libérant des engrenages des conflits tout en étant active dans leur résolution.
Elle doit être le point de croisement entre des intérêts du G7 et de ceux des BRICS+. Elle peut devenir cette zone, comme un sas d’entrée et de sortie, entre les Empires sans se faire absorber par l’un ou l’autre d’entre eux.
Pour cela, elle possède de nombreux atouts : proximité géographique de l’Europe, fenêtre sur la Méditerranée, porte d’entrée vers un continent africain, de plus en plus convoité, richesses minières et énergétiques abondantes, infrastructures en expansion.
Encore faut-il préparer les conditions d’un tel projet : réformer le régime politique, asseoir une légitimité politique incontestable, construire une gouvernance fondée sur le mérite et la qualité.
*Président de Jil Jadid
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