Le Maroc est l’invité d’honneur du Salon international de l’agriculture de Paris, cela devait être une fête pour le Royaume de Mohammed VI. Cependant, l’événement a créé un réel malaise en France.
La presse française relate les interrogations des agriculteurs et des consommateurs français. En cause, les importations massives de tomates du Maroc.
C’est la première fois qu’un pays est ainsi mis à l’honneur. Pour, Valérie Le Roy, la directrice du salon qui se tient du 22 février au 2 mars, il s’agit d’un choix « de cœur et de raison » comme le rapporte RMC.
Comme à l’accoutumée, le président français Emmanuel Macron a fait le déplacement avec à ses côtés la ministre de l’Agriculture Annie Genevard et à cette occasion ils ont rencontré le premier ministre marocain, Aziz Akhannouch.
Le lendemain, dans une vidéo de l’agence de presse CLPRESS, on pouvait voir dans la délégation accompagnant le premier ministre marocain ainsi que le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, le président du groupe d’amitié France-Maroc au Sénat, Christian Cambon.
Alors qu’ils se dirigeaient vers le pavillon du Maroc pour son inauguration, on pouvait entendre Christian Calbon évoquer d’un air gourmand : « Lundi, un banquet à El Ayoune avec 800 couverts ».
Durant son cheminement à travers le SIA, la délégation est passée à proximité d’un couloir où étaient regroupés en retrait des CRS avec casques et boucliers.
Comme l’année précédente, les organisateurs du Salon craignent des débordements des agriculteurs et en particulier de ceux affiliés au syndicat Coordination Rurale.
France-Maroc, la guerre de la tomate
Le Salon international de l’agriculture de Paris est largement couvert par la presse avec, cette année, une tonalité particulière. À chaque fois, il est question du Maroc et de ses exportations de tomates.
Dès le 21 février, RMC évoquait « un invité d’honneur qui fait grincer des dents », le 24 RTL suivait avec « tomates marocaines source de tensions chez certains maraîchers » allant jusqu’à écrire « France vs Maroc, la guerre des tomates ». Une allusion reprise le soir même par France 2 lors du JT de 20H « France-Maroc, la guerre de la tomate ».
Quant à la radio France-infos, un journaliste allait jusqu’à demander à Rachid Benali, le président de la Confédération marocaine de l’Agriculture : « estimez-vous que vous soyez encore les bienvenus en France ? »
Quant à Europe 1, le 25 au matin une chronique titrait « France/Maroc, la tomate de la discorde ». L’hebdomadaire Valeurs Actuelles, signale dans un article : « la présence du Maroc critiquée par le monde agricole ».
Dans le public, le ton était du même ordre. A proximité du pavillon du Maroc, une visiteuse déclarait à France 2 : « On ne les achète pas. Pourquoi ? Car elles ne viennent pas d’ici, elles ont fait des kilomètres et des kilomètres pour venir. » De Dakhla, au Sahara occidental occupé, la distance avoisine les 4 000 km et le raccordement à l’autoroute qui relie Agadir au port de Tanger-Med permet aux camions frigorifiques de rejoindre la France en moins de 48 heures.
Anne-Marie Goyer, une maraichère, dénonçait à propos des importations de tomates du Maroc : « On ne travaille pas à armes égales. Est-ce nécessaire de mettre à l’honneur ? Je ne pense pas ».
Les serres chauffées pour la production de tomates représentent en France « un coût d’installation voisin de l’ordre de 1,2 M€/ha » selon France AgriMer. Interrogé dans sa serre ultra-moderne, Benjamin Devos, un maraîcher installé en Seine et Marne explique sur France 2 : « La main-d’œuvre en France est 15 euros [à l’heure] et un euro au Maroc. Comment voulez-vous être compétitif entre ces produits ? C’est impossible ».
Interrogé par RMC, Tristan, un producteur des Bouches-du-Rhône, indique constater l’impact de cette concurrence et planter « beaucoup moins de tomates cerises » à cause de la hausse des coûts de production en France : « En l’espace de 10 ans le prix n’a pas augmenté. Mais la main d’œuvre a explosé, donc on ne peut pas suivre. »
Un professionnel marocain embarrassé
L’accord de libre-échange de 2012 entre l’UE et le Maroc a ouvert l’accès des tomates marocaines au marché européen sans aucun droits de douane.
Entre le 1er octobre et le 31 mai, un quota de 285 000 tonnes de tomates « marocaines » est ainsi autorisé. Un quota qui n’a pas été revu à la baisse depuis le Brexit alors que Londres a accordé un nouveau quota de 47 510 tonnes au Maroc selon une publication des Chambres d’agriculture de France.
Seule condition de l’UE, un prix de base minimal de 0,461 €/kg défini en 2000, non indexé sur l’inflation et qui ne tient pas compte de l’évolution variétale des producteurs marocains vers la tomate cerise.
Par ailleurs, l’accord avec l’UE permet au Maroc de bénéficier d’une réduction des droits de douane de 60 % entre juin et septembre sans aucune limitation de tonnage. Or, avec des salaires horaires dix fois moins élevés au Maroc qu’en France, même avec ces droits de douanes, la tomate marocaine reste largement compétitive.
« C’est quand les producteurs ont besoin de valoriser leur propre production » note Marine Colli, une spécialiste des politiques agricoles, qui confie à RMC : « c’est là que la différence de coût fait le plus mal aux producteurs français. »
La filière tomate du Maroc est actuellement sous pression à l’image des propos changeants de son représentant. Dans un entretien à France-Infos publié le 24 février mais enregistré la veille, Rachid Benali est dans le déni.
Lorsqu’il le journaliste lui demande « la France et le Maroc ont annoncé la reprise du Comité tomate, un comité qui a été mis en sommeil depuis 2020, et qui réunit les filières françaises et marocaines. Vous en attendez quoi ? Un nouvel accord ? »
D’un air catégorique, il répond : « Non, pas de changement d’accord. Le comité va simplement se réunir pour prendre des décisions, mettre en œuvre les procédures habituelles, mais il n’y a pas de renégociations d’accords prévues, loin de là. Ce sont simplement des discussions qui vont permettre de mieux formaliser les échanges et les partenariats ».
Rachid Benali va jusqu’à déclarer en fin de l’entretien : « Je vois l’avenir en rose ». Même son de cloche de la presse marocaine qui se félicite de l’ambiance mise par un groupe folklorique devant le pavillon du Maroc.
Pressions des syndicats français
Changement de ton le lendemain. Au micro de RTL, le 24 février Rachid Benali, tente de relativiser : « On comprend bien sûr l’inquiétude des opérateurs français. Quand on a une concurrence en face, ça fait toujours un petit peu mal ». Dans la foulée, RTL annonce : « Une table ronde prévue pour discuter de ces enjeux a été annulée ».
Puis Rachid Benali est à nouveau interrogé durant la même journée par France 2 à proximité du pavillon du Maroc au sujet du problème posé par la concurrence des tomates marocaines. On assiste à ce qui ressemble à un rétropédalage, il indique d’un air penaud avoir tenu « un entretien aujourd’hui avec l’interprofession [française]. » Puis, il annonce : « Ce seront des accords qui vont être signés très prochainement ».
Comment expliquer un tel revirement ? Est-ce la pression des syndicats agricoles français ? La Coordination Rurale qui vient de conquérir 14 départements lors des dernières élections des Chambres d’agriculture se sent portée par les résultats. Elle est vent debout contre la présence marocaine au Salon de l’Agriculture de Paris 2025.
Le 21 février, sa présidente, Véronique Le Floc’h déclarait sur les réseaux sociaux que la présence du Maroc comme invité d’honneur constituait une « nouvelle provocation. »
L’ouverture du Salon de l’Agriculture a été agitée, les agriculteurs de la Coordination rurale ont même été empêchés d’entrer par les forces de sécurité d’entrer lors de la visite d’Emmanuel Macron. Aussi, très en colère, ils prévoient « des représailles ».
Les autorités françaises auraient-elles fait pression pour que Rachid Benali rencontre l’interprofession de la tomate ?
Un autre syndicat, la Confédération Paysanne a dénoncé les importations de tomates en provenance de Dakhla et envoyées par camions frigorifiques vers Agadir d’où elles sont exportées vers la France avec la mention « Produit du Maroc ».
Le 28 janvier dernier, ce syndicat a obtenu que la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) demande que ces produits soient dorénavant étiquetés comme « produits du Sahara occidental ».
L’avenir de la tomate cerise du Maroc en France est loin d’être « rose ». Les producteurs français ne souhaitent pas être sacrifiés par le deal « tomates du Maroc contre blé français ». Le producteur de tomates Benjamin Devos se déclare « prêt à se mobiliser si rien ne change ».
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