La France est-elle entrée dans un délire anti-immigration, particulièrement algérienne et maghrébine ? Le sentiment de « submersion migratoire » exprimé récemment par le Premier ministre François Bayrou est démenti par la réalité et les statistiques.
Que se passe-t-il ? Le Premier ministre français ignore-t-il les données officielles sur un sujet qui compte parmi les priorités de son gouvernement ? Ou alors ne fait-il pas confiance aux organismes qui les établissent ?
À moins que M. Bayrou a cherché à signifier, par des mots qui seraient plus acceptables, qu’il y a trop d’arabes et de musulmans en France, mettant dans le même lot les immigrés légalement ou illégalement établis et les français d’origine étrangère.
« Submersion migratoire » en France : les chiffres disent autre chose
Car s’agissant des immigrés proprement dits, c’est-à-dire des étrangers résidant en France avec un titre de séjour, il est exagéré de parler de submersion.
Du moins, c’est ce que disent les chiffres et les spécialistes. « Avant de parler de submersion, il faut tenir compte des faits », suggère le démographe Hervé Le Bras dans une contribution publiée dans le Monde.
Le chercheur a pris les chiffres de cinq années, de 2019 à 2023. Pendant cette période, l’augmentation annuelle moyenne du nombre d’immigrés en France s’est située à 100 000 de plus chaque année. Déjà, fait-il remarquer, il s’agit d’un chiffre inférieur à la moyenne de la décennie précédente.
Car, révèle-t-il encore, si l’on compare avec la moyenne depuis 2006, il y a moins d’immigrés qui arrivent chaque année en France.
Hervé Le Bras en veut pour preuve les chiffres de l’INSEE (Institut national des statistiques et études économiques). En 2006, cet organisme avait comptabilisé 5,14 millions d’immigrés en France.
Dix-sept ans plus tard, en 2023, il y en avait 7,28 millions, soit 2,14 millions de plus, et donc une moyenne de 126 000 immigrés de plus chaque année. La tendance est donc à l’accalmie comme le démontrent les chiffres de 2919 à 2023 (100 000 de plus par an).
Pour mieux démontrer qu’il est inexact de parler maintenant de submersion, il cite l’année 2014 où la France a enregistré un record de l’évolution de sa population immigrée, 190 000 de plus.
France : les vrais chiffres de l’immigration « sont tenaces, voire têtus »
Il y a une semaine, le chercheur, qui vient de publier un livre intitulé « Il n’y a pas de race blanche », expliquait sur RFI que la phrase lâchée le 27 janvier par le Premier ministre signifie « que la personne qui est en charge de la France se contente de voir le pays à travers le ressenti de ses habitants et pas à travers les faits ».
« Certes, insiste-t-il dans Le Monde, pour être élu, il faut ménager l’opinion, donc prêter attention à ce que les sondages disent du ressenti des Français, mais, une fois élu, pour agir, il faut tenir compte des faits, et ceux de l’immigration sont tenaces, voire têtus. »
Hervé Lebras trouve « dommageables » l’expression de « submersion migratoire », l’évocation d’un seuil de tolérance, ou encore de parler de « Français qui ne reconnaissent plus leur pays », ou de « délits qui seraient majoritairement le fait des étrangers ».
Cela est d’autant plus dommageable que, signale-t-il, les véritables chiffres indiscutables liés à l’immigration sont du domaine public et accessibles à tous sur le site de l’INSEE.
Le sociologue Emmanuel Didier a, également dans une tribune dans Le Monde, pointé du doigt un autre cas où les chiffres de l’INSEE sont ignorés. À Mayotte, l’institut estime le nombre d’habitants à 320 000, mais un contre-chiffre de 500 000 circule.
Parler d’immigrés en ciblant les binationaux maghrébins ?
Le sociologue regrette lui aussi que le Premier ministre François Bayrou dévalorise les méthodes d’une institution publique experte et légitime pour les remplacer par des chiffres qui ne s’appuient que sur des intérêts partisans.
En parlant de « submersion migratoire » alors que, comme le démontrent les chiffres, il n’en est rien, François Bayrou voulait peut-être exprimer un autre « ressenti », qu’il ne peut assumer : à savoir que, aujourd’hui, il y aurait trop de Maghrébins, de musulmans ou d’Algériens en France.
C’est un jugement qui est fait dans la société « au faciès », suivant le nombre de gens au teint arabe, au prénom à consonnance maghrébine où à l’accoutrement musulman que l’on rencontre dans la rue, au travail, à l’école et dans tout l’espace public, indépendamment de leur statut : immigrés, Français naturalisés ou Français depuis deux ou trois générations. Un jugement qui s’exprime désormais sans tabou, dans un contexte de progression des idées de l’extrême droite.
Ils sont sans doute nombreux à entrer dans cette catégorie mais le Premier ministre ne peut pas ignorer qu’ils sont pour la plupart des Français à part entière qu’il ne doit pas confondre avec les immigrés.