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Tensions Algérie-France : Abdelaziz Rahabi décrypte les enjeux cachés

Tensions Algérie-France : Abdelaziz Rahabi décrypte les enjeux cachés

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Rahabi

Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, décrypte, dans cet entretien, les raisons de l’acharnement d’une partie de la classe politique française contre l’Algérie.

L’ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid explique la mécanique de la délivrance des laissez-passer consulaires, évoque la position ambigüe du président Macron.

Abdelaziz Rahabi parle des raisons de la focalisation sur l’Algérie en ce qui concerne la question des OQTF.

Il évoque aussi les menaces de la France de suspendre l’accord de 2007 qui exempt de visa les détenteurs des passeports diplomatiques des deux pays. Il explique pourquoi il y a une focalisation sur cette question.

Abdelaziz Rahabi évalue les risques de rupture entre l’Algérie et la France, et évoque la situation de la diaspora algérienne en France.

Le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau a déclaré que le gouvernement français a envoyé une liste de 80 Algériens à expulser. L’Algérie a rejeté sa liste. Cette décision était-elle attendue ?

Cela dénote, pour ce qui est de la liste, d’une grave méconnaissance de notre doctrine diplomatique et du caractère des Algériens.

Ces questions ont toujours été traitées au cas par cas entre les préfectures et les consulats algériens en France.

Il était donc prévisible que l’Algérie rejette cette bruyante sommation sans craindre des représailles annoncées comme celle de la suspension de l‘application de l’Accord de 2007 sur les titres de voyage officiels.

Sur cette dernière question, le seul objectif recherché est de susciter un débat en Algérie et de donner le sentiment au peuple de l’existence de privilégiés pour le mettre en porte-à-faux avec son gouvernement, son régime dirait une bonne partie la classe politique française encore afférée au narratif de la guerre froide.

Près de 50 pays ont conclu des accords de cette nature avec l’Algérie, dont la presque la totalité des membres de l’Union européenne et il y a des discussions avancées avec d’autres pays.

Il est regrettable que la France, pays de longue tradition diplomatique, se retrouve réduit à élever au rang de stratégie d’État des questions de routine diplomatique.

Le ministre de l’Intérieur français Bruno Retailleau affirme que lorsqu’un ressortissant algérien a un passeport ou une carte d’identité, son expulsion de France ne nécessite pas un laissez-passer consulaire et que l’Algérie doit l’accepter. Il dit se baser sur l’accord de 1994 sur les réadmissions. Est-ce qu’il a raison ?

C’est peut-être valable dans la réglementation française, mais elle ne l’est pas dans la nôtre. De même qu’elle n’est pas universelle ni explicite dans les Accords entre les deux gouvernements.

Il doit admettre que la souveraineté ne se mesure pas au prorata du PIB et que chaque pays   est libre d’organiser dans les formes qu’il a choisies les conditions de rapatriement de ses citoyens.

Pour notre part, il appartient au consulat algérien de s’assurer de l’identité du ressortissant frappé d’une OQTF, de vérifier s’il a réellement usé de toutes les voies de recours administratif et/ou judiciaire avant de délivrer un laissez-passer consulaire.

Nous n’allons pas changer nos procédures juste pour faire gagner quelques points dans les sondages à des hommes politiques en mal de popularité.

 En France, c’est le ministre de l’Intérieur qui est en première ligne dans la gestion de la crise avec l’Algérie. Est-ce que c’est normal ?

Le Président Emmanuel Macron a toujours eu une politique de balancier avec l’Algérie, un coup pour l’Algérie, un autre pour ses adversaires. Il a décidé, du niveau l’interlocuteur, de lui confier le dossier des relations avec l’Algérie et de les réduire à la question des OQTF.

En conséquence, il aura comme interlocuteurs nos 17 consuls qui sont habilités et qualifiés pour traiter des questions de la circulation et de l’établissement des Algériens en France.

La crise entre la France et l’Algérie dure depuis plus de sept mois. Une rupture est-elle maintenant envisageable ?

L’Algérie régule ses positions et ne cherche pas la rupture. Sa communauté est au centre de son évaluation de sa relation avec la France et de ses futures décisions.

Nous n’avons pas le même problème que le Président Macron qui ne donne pas le sentiment qu’il a toute l’autorité en matière de politique étrangère quand il s’agit de l’Algérie.

Pendant cette crise, il n’a pas respecté au moins une fois des engagements pris avec le Président Abdelmadjid Tebboune.

En Algérie, le processus de formation et de prise de décision diplomatique est immunisé contre les formes de pression ou de lobbying interne ou externe. Les engagements du Président ou ceux de son ministre des Affaires étrangères sont des engagements d’État.

Il est vrai que ce n’était pas le cas durant les dernières années du règne du président Abdelaziz Bouteflika (1199-2019) pendant lesquelles des groupes d’intérêts économiques et des groupes de pression étrangers ont orienté à leur guise les relations entre l’Algérie avec la France  au point de faire réunir le Président avec son premier ministre et son chef d’état-major dans un établissement hospitalier militaire français, le Val de Grâce.

La crise actuelle est déclenchée par la nouvelle position de la France sur le Sahara occidental alors que Paris a toujours été un soutien de Rabat sur cette question. Qu’est-ce qui explique la colère d’Alger ?

L’alignement de la France sur les thèses de la dernière puissance occupante en Afrique est un cas d’école dans les relations internationales.

Contrairement aux États-Unis et à l’Espagne qui avaient parallèlement appelé à des négociations entre les parties, la France s’est inscrite totalement dans le « roman royal marocain ».

Elle ne reconnaît aucune souveraineté autre que celle du Maroc sur un territoire qui n’appartient pas à ces deux pays et que l’ONU dont la France est membre du Conseil de sécurité chargé du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, considère comme un territoire non-autonome.

Sur le plan géopolitique, la France se prive de son ambition de jouer un rôle en Afrique du Nord, ce qui réduira son influence au sein même de l’Union européenne qui depuis sa création a reconnu ce statut à la France.

Les Espagnols et les Allemands ont su, quant à eux, préserver ce statut avec les pays d’Amérique latine et d’Europe centrale. Ils sont à ce titre très écoutés sur la situation dans ces régions non seulement en Europe, mais même ailleurs.

C’est un atout historique que le Président Macron a choisi de ne pas garder, il ne peut être jugé que par ses compatriotes.

Le sujet Algérie est-il si porteur dans la société française que certains, comme le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et tout le courant extrémiste, l’utilisent comme tremplin pour monter en popularité ? Comment expliquer une telle sensibilité plus de 60 ans après l’indépendance ? 

L’Algérie en France fait vendre des livres, suscite des vocations politiques, fait monter des insignifiants dans les sondages et est devenue, depuis Nicolas Sarkozy et son invention de la « demande algérienne de repentance », le marchepied pour l’Élysée.

Le Front national s’est reconstruit autour de l’immigration avec les résultats électoraux qu’on connait et cela a eu un effet massif d’entraînement dans lequel la droite a retrouvé une vocation historique.

Il y a une focalisation sur l’Algérie alors que, selon les chiffres officiels, d’autres pays, notamment du Maghreb, ne font pas mieux en termes de laissez-passer consulaires. Pourquoi ?

La montée des populismes et de son corollaire, le racisme, a touché notamment l’Allemagne, mais on n’y observe pas une stigmatisation d’une communauté déterminée.

En France, par contre, il y’ a la singularisation des Algériens dont les fondements ne peuvent provenir que des mêmes catégories qui ont un lien avec l’histoire de la France coloniale, l’extrême droite, les pieds noirs, les harkis et maintenant de nouveaux acteurs étrangers étatiques et non étatiques dont l’agenda est de nous affaiblir.

On veut maintenir l’Algérie dans un passé permanent qu’eux-mêmes n’arrivent pas à assumer, et donner le sentiment que nous sommes derrière toute la délinquance en France pour nuire à notre image dans le monde.

La réalité n’est pas leur préoccupation majeure, mais ils ne réalisent pas que cette singularisation va paradoxalement nourrir, à court terme, le repli communautaire des Algériens, toutes catégories confondues, et qui ont des traditions historiques d’organisation et un lien très fort avec le pays d’origine.

La Nation algérienne s’est reconstruite dans l’adversité et nous avons développé une véritable résilience qui ne peut pas être altérée par une crise qui n’a de diplomatique que ses formes subsidiaires.

Le gouvernement français devrait, à mon sens, ne pas écarter le risque que l’attitude intransigeante de l’Algérie serve de socle normatif pour les autres communautés.

Ils auront tort, à mon sens, de sous-estimer l’impact de nos positions sur celles de l’Afrique, surtout en cette période de recul de la France dans ce continent.

On entend en France des voix brandir la menace d’actionner des leviers contre l’Algérie comme le gel des avoirs du pays. Que doit faire l’Algérie ?

Je pense que les Algériens seront les premiers à applaudir mais je n’en crois pas un mot pour plusieurs raisons.

La première est que la France n’a jamais répondu aux commissions rogatoires, près de 100, lancées par la justice algérienne et protège ainsi les corrompus et les avoirs issus de la corruption.

La seconde est qu’elle n’est pas un paradis fiscal et ne présente aucune attractivité pour la grosse corruption algérienne.

Enfin, les Algériens ne se satisferont d’une quelconque mesure que si les produits de la corruption reviennent à leur propriétaire légitime, le peuple algérien, ce qui est la dernière préoccupation de ces voix qui ont en commun une Algérophobie qui dépasse parfois la rente électorale que représente la campagne contre l’Algérie.

 

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