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Titres de séjour en France : les révélations de Médiapart sur les blocages

Décrocher un titre de séjour en France n’a jamais été chose facile, mais c’est désormais devenu « quasi impossible », notamment avec le durcissement qui est prôné par l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Depuis que la circulaire Retailleau a été adressée aux préfets, fin janvier dernier, remplaçant ainsi la circulaire Valls, qui était en vigueur depuis 2012, la régularisation est devenue un rêve trop difficile à atteindre pour les sans-papiers présents en France.

Cette nouvelle circulaire durcit les mesures de régularisation par rapport à la circulaire Valls : Il faut notamment que les sans-papiers souhaitant décrocher une admission exceptionnelle au séjour (AES) justifient de 7 ans de présence sur le territoire français, contre 5 ans, voire 3 ans dans certains cas, dans le cadre de la circulaire Valls.

Circulaire Retailleau : l’accès au séjour encore plus ardu pour les sans-papiers

Il y a aussi le point sur les OQTF, qui est « imprécis », estime Joëlle, militant de la CSP 75, la Coordination des sans-papiers de Paris, cité par Mediapart. Selon lui, la circulaire Retailleau n’indique pas « s’il faut ne jamais en avoir eu, ou n’avoir aucune OQTF en cours ».

Cité par la même source, Anzoumane Sissoko, ex sans-papier actuellement élu du XVIIIe arrondissement de Paris, estime que les nouveaux durcissements apportés par la circulaire Retailleau « rendent la régularisation quasiment impossible ».

L’élu local ajoute que même si certains sans-papiers arrivent à remplir toutes les conditions exigées par cette nouvelles circulaire, ils vont se heurter à la procédure dématérialisée et à la difficulté de décrocher un rendez-vous pour déposer leurs dossiers de demande de titres de séjour à la préfecture.

De plus, même si les conditions sont réunies, et le rendez-vous accordé, les AES restent soumises à l’appréciation du préfet et les demandeurs risquent toujours d’essuyer un refus et d’être expulsés.

« Tout est bloqué depuis Retailleau »

C’est notamment le cas de ce sans-papiers présent depuis 8 ans en France, dont la demande d’admission au séjour s’est soldée par une OQTF, bien qu’il disposait de fiches de paie et qu’il n’ait jamais été ciblé par une mesure d’éloignement, raconte Yoro, un autre membre de la CSP75.

« Tout est bloqué depuis Retailleau », assure ce militant, qui dévoile que son association a reçu un mail fin janvier qui l’informe qu’elle n’a plus le droit de déposer des demandes collectives. « Comment vont faire tous ceux qui ne maîtrisent ni le français ni les démarches ? » déplore Yoro.

Dans une enquête qu’il a menée au niveau de plusieurs préfectures, Mediapart, dévoile que les demandes d’admission exceptionnelles au séjour (AES) ne sont plus traitées comme elles l’étaient avant, et ce, « sur ordre venu d’en haut ».

Dans la préfecture des Yvelines, les AES pour motif de travail « sont en stand-by ou proposés au refus ». En Seine-Saint-Denis et à Paris, « on ne délivre plus de rendez-vous, ou alors très peu », à Nanterre, les rendez-vous ne sont délivrés « qu’aux cas exceptionnels ».

Retailleau applique la politique de « l’environnement hostile »

Il s’agit là d’une véritable « catastrophe », dénonce Me Delphine Martin, avocate spécialisée dans le droit des étrangers en France. Elle a notamment vu un de ses dossiers, déposé en janvier, refusé « manu militari » le 6 février, alors qu’il fallait attendre jusqu’à un an et demi pour avoir une réponse en temps normal.

Me Charles adopte quant à lui une combine pour éviter la circulaire Retailleau. Il attend le refus implicite de la préfecture pour saisir le tribunal administratif. Il explique que contrairement aux préfets, « les juges voient s’il y a au moins cinq ans de présence en France ».

Martine, militante pour les droits des sans-papiers, confronte directement les agents de la préfecture concernant les dossiers déposés avant la circulaire Retailleau.

« Je leur dis qu’ils ne peuvent pas m’imposer la circulaire Retailleau pour des dossiers déposés en 2023, sur les critères de la circulaire Valls. Ce n’est pas de ma faute s’ils mettent deux ans pour donner un rendez-vous », estime-t-elle.

Ceci dit, quand il s’agit de nouvelles demandes à déposer, cette militante se plie à la nouvelle circulaire. Elle conseille aux sans-papiers « d’attendre d’avoir les sept ans de présence, au risque d’avoir une OQTF ».

Si certains demandeurs de titres de séjour se battent, d’autres se découragent et quittent la France. L’avocate Delphine Martin explique que la France a adopté une politique « d’environnement hostile » visant à « décourager » les étrangers et les convaincre  qu’« il ne faut pas venir en France ».

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