Économie

Tomate cerise : la concurrence entre l’Algérie et le Maroc est lancée

La concurrence entre le Maroc et l’Algérie pour l’approvisionnement du marché européen en tomates cerise est lancée.

En Espagne, la tomate algérienne commence à arriver. En France, le marché était la chasse gardée de groupes marocains. Mais, au même titre que la Tunisie, l’Algérie s’intéresse aujourd’hui à ce marché très lucratif.

En ce mois de février la barquette de 250 gr de tomate cerise s’affiche jusqu’à 5,20 euros en France, ce qui ramène le kilo à 20,80 euros. Elle est produite en Bretagne sous la marque Savéol et les producteurs sont obligés de chauffer leurs serres d’où un coût non négligeable à cause du prix élevé de l’énergie en France. Cette coopérative tente de gagner des parts de marché en sélectionnant de nouvelles variétés plus goûteuses.

La France, un marché attractif

Les ménages français sont de gros consommateurs de tomates et plus particulièrement de tomates cerise. Ils en achètent près de 14 kg par personne et par an, c’est ainsi le premier légume frais consommé.

Les producteurs marocains règnent en maître sur le segment de la tomate cerise, un produit apparu il y a seulement 30 ans. Leur force est de proposer en moyenne un prix 2,4 fois moins élevé que la tomate cerise de France.

Résultat, « la part de marché de la tomate cerise dans les achats des ménages français est passée de 7,8 % en 2015 à 14,3 % en 2020 » note le site des chambres bretonnes d’agriculture.

On assiste à une ruée vers le marché français. Entre 2011 et 2017 ce sont 300.000 tonnes par an de tomates marocaines qui ont été exportées vers la France dont une partie de tomates cerise. À partir de 2022, les exportations ont atteint 425.000 tonnes, soit un bond de 40%.

Depuis la signature de l’accord d’association entre l’Union Européenne et le Maroc, ce dernier a obtenu le droit d’exporter 285.000 tonnes de tomates entre le 1er octobre et le 31 mai et cela sans aucun droit de douane.

Passé cette période, la tomate marocaine doit laisser la place à celle produite localement, mais malgré des droits de douanes, elle arrive à être concurrentielle. L’accord n’a pas été revu à la baisse après le Brexit et il est la cible des syndicats agricoles français et du Rassemblement National.

La filière tomate marocaine en difficulté

En produisant de la tomate cerise et en visant l’export, le groupe algérien Souakri défie le leader marocain auparavant incontesté sur le marché européen, dans un contexte où la filière marocaine est en difficulté.

C’est le cas avec la récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui, à l’appel d’un syndicat français, demande que soit mentionnée l’origine réelle des tomates cerise exportées par le Maroc. Ces tomates proviennent en fait de Dakhla au Sahara occidental occupé où elles bénéficient d’un ensoleillement de 3 000 heures par an soit 30 % de plus qu’à Agadir ainsi que d’exonérations d’impôts.

Seconde difficulté, que ce soit dans la région d’Agadir spécialisée dans la tomate ou de celle de Dakhla avec 600 ha de serres recensées en 2019, dont 230 pour la production de melon, l’eau manque dans les nappes souterraines.

Les nappes d’eau fossile de Dakhla au Sahara occidental occupé sont pratiquement épuisées. À Agadir, la station de dessalement de l’eau de mer à Chtouka devrait proposer aux agriculteurs une eau mais à un tarif 10 fois supérieur.

Une contrainte qui menace la production de légumes sous serre, mais pas encore celle de tomates du fait des prix avantageux qu’offre le marché européen.

Mais jusqu’à quand ? Impactés par le virus ToBRFV, la filière tomate a connu en 2022 et 2023 des pertes de tonnage de 40 %. Seule solution pour les producteurs, passer en hors sol. Un défi impossible pour les petits producteurs, vu le coût des installations qui varie entre 0,7 et 1,4 million d’euros l’hectare.

Groupe Souakri, un réel savoir-faire

A El Meghair dans le sud-est de l’Algérie, le groupe familial Souakri souhaite depuis peu se positionner sur le marché international et notamment sur le marché européen hyper concurrentiel.  Avec le soleil et la chaleur du sud algérien, les tomates cerises d’El Meghair sont plus sucrées, leur coût de production reste inférieur à celles produites en France et actuellement, l’eau reste largement disponible dans cette région.

En ce début février, dans les serres multichapelles du groupe Souakri, la récolte des tomates cerise a commencé. Finis les fragiles plants observés lors de leur repiquage au mois d’octobre dernier, un reportage de la Télévision algérienne montre actuellement des plants qui atteignent près de 3 mètres de haut.

Afin que les grappes de tomates bénéficient du maximum de lumière, la base des plants a été débarrassée de ses feuilles. Aussi tout au long des rangs de tomates, on aperçoit une forêt de tiges.

Pour chaque pied de tomate, de façon étonnante, on compte deux tiges là où il devrait y en avoir une seule. L’explication réside dans les techniques hollandaises dont bénéficient les serres Souakri.

C’est la pratique de l’écimage des jeunes plants greffés qui permet que chaque pied produise alors deux tiges issues des premiers bourgeons axillaires. L’intérêt d’utiliser un porte-greffe vigoureux permet donc de nourrir durant 10 mois deux tiges par plante, contre une tige pour les cultures classiques non greffées.

Dans les serres, à la base des tiges sont attachées des grappes de tomates. Le plus souvent, seule une partie est mûre ce qui oblige les ouvrières à des passages quotidiens pour récolter les fruits mûrs. Comparé au raisin, ce type de récolte revient à saisir sur une grappe de raisin à gros grains, seuls ceux qui seraient les plus mûrs. Un travail qui exige dextérité et qui est confié à une main d’œuvre féminine. Une ouvrière confie : « on en est au deuxième passage ».

Dans les allées, délicatement les ouvrières détachent les tomates mûres et les déposent directement dans des barquettes en plastique déposées dans des caissettes posées sur un chariot. Les barquettes sont ultérieurement entourées d’un emballage en carton.

La tomate cerise a cela de particulier qu’elle requiert une main d’œuvre nombreuse pour les différentes opérations : greffage, plantation, effeuillage, récolte et conditionnement. Le coût de la main-d’œuvre est donc déterminant, il est dix fois plus élevé en France qu’au sud de la Méditerranée.

Abdenour Souakri confie : « Nous n’avons pas pris de personnes disposant d’une expérience en la matière. Le personnel a été formé localement ».

Dans les serres, le mot d’ordre est d’éviter les maladies

Dans la serre, par le moindre bout de sol visible, sur le conseil des techniciens hollandais c’est la technique dite du hors-sol qui est privilégiée par l’investisseur algérien.

Les plantes plongent leurs racines dans un bac rempli de fibre de coco où, l’irrigation par goutte à goutte, apporte directement eau et engrais. Entre les rangées de plants le sol est recouvert d’un film plastique de couleur blanche. L’ambiance générale de la serre rappelle quelque peu les salles blanches confinées des entreprises d’aéronautique.

Tout est fait pour éviter d’éventuelles contaminations à partir du sol. Si celles-ci peuvent être réduites les premières années, ensuite les nématodes, spores de champignons et virus y trouvent un milieu idéal pour leur reproduction.

Le niveau d’infestation est tel que dans les cas des serres tunnel, celles-ci doivent être déplacées tous les trois ans vers un emplacement au sol vierge. Dans le cas de serres multi-chapelles, l’armature métallique fixée au sol rend impossible tout déplacement. Aussi, les initiateurs de cette méthode ont tout simplement décidé de se passer de sol.

Autre avantage de ce paillage plastique, éviter que les larves de la terrible mineuse de la tomate, puissent terminer leur cycle de développement dans le sol malgré les mesures obligatoire d’étanchéité pour que cet insecte volant n’entre dans les serres.

Tomates algériennes labellisées

Alors que des légumes du Maroc ont fait l’objet de différentes alertes suite à la découverte de pesticides interdits tel le chlorothalonil, les tomates produites à Meghaier en sont « indemnes », affirme à TSA Abdenour Souakri.

En février 2024, un syndicat français a procédé à des analyses sur des cargaisons en provenance du Maroc. Selon une station locale de Radio-France, un syndicaliste a confié que : « Sur le concombre origine Maroc, il y a du chlorothalonil interdit en Union européenne depuis 2020 ; on trouve 30 fois le seuil de détection ! Sur la tomate, on trouve du trifloxystrobine qui est interdit à l’application sur les tomates de bouche ! »

Les tomates produites à Meghaier ne sont issues d’OGM, tel que le précise la mention « GMO free » pour Genetically Modified Organism sur l’emballage, collée sur l’emballage. Il y est également indiqué « Product of Algeria ».

Souakri propose des barquettes en version 250 gr ou 350 gr et sous différentes longueurs, ce qui laisse tout le loisir à l’importateur d’adapter sa stratégie commerciale.

Groupe Souakri, une locomotive ?

À travers le choix de variétés (goût et résistance aux virus), greffage, contrôle d’ambiance et programme de fertilisation, l’entrée en production de tomates cerise du groupe Souakri témoigne d’une maîtrise réelle d’un savoir-faire.

Dans un premier temps, ce sont 6 000 tonnes de tomates qui devraient être produites. Un chiffre à rapprocher des 40 000 tonnes produites en Tunisie ou des 660 000 tonnes de tomates marocaines exportées en 2023 selon EastFruit et qui illustre le défi algérien.

Reste à essaimer dans la région afin de constituer une task force à travers la diffusion de ces nouvelles techniques à d’autres producteurs locaux et mobiliser les quantités nécessaires pour répondre à l’appétit des marchés européens.

Avec son savoir-faire incontestable dans le choix variétal et le greffage des plants de tomates, le groupe Souakri pourrait agréger d’autres producteurs en leur fournissant des plants, selon les contrats signés avec les clients et les marchés cibles, même si ces agriculteurs ne possèdent que des serres moins sophistiquées.

À ce titre le groupe Souakri pourrait être une locomotive pour la filière tomate au même titre que la Laiterie Soummam dans la filière lait. En décembre 2022, lors de sa visite à la Foire de la production nationale, le président Abdelmadjid avait lancé au responsable de cette laiterie : « vous êtes une locomotive ».

Dans la guerre de la tomate cerise entre le Maroc et l’Algérie, les nuages s’amoncellent au-dessus du leader marocain et la tomate cerise produite par le groupe Souakri a aujourd’hui toute sa place dans la mesure où la disponibilité en eau est assurée.

« Notre priorité est le marché algérien », assure Abdenour Souakri qui a entamé les démarches pour l’exportation vers l’Europe.

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