Économie

Tracteur Cirta, un fleuron de l’industrie mécanique en Algérie

En ces temps de crues d’oued phénoménales, le tracteur de marque algérienne Cirta montre toutes ses qualités. Un de ces engins embourbé à proximité d’un oued a réussi à s’extraire d’un bourbier en quelques coups de volant adroits du chauffeur.

Fabriqué à plus de 600.000 exemplaires à Constantine depuis 1971, ce tracteur est un des fleurons de l’industrie mécanique algérienne.

Le modèle de tracteur Cirta 6807 doit son nom à celui de la ville antique de Constantine, où il est construit.

Si se dégager d’un amas de boue est un exploit, c’est que le tracteur Cirta 6807 n’est équipé que de deux roues motrices alors qu’aujourd’hui, la plupart des engins en ont 4.

On doit les tracteurs Cirta à l’ex-Sonacome (SNVI) puis à l’Entreprise publique de Tracteurs Agricole (Etrag) qui a construit toute une gamme d’engins de moins de 100 chevaux.

Une partie des 600.000 tracteurs produits a été exportée en Irak à l’époque du président Saddam Hussein. Depuis une dizaine d’années, l’Etrag produit des tracteurs de marque Massey Ferguson avec un taux d’intégration annoncé de 45 %.

Tracteur Cirta, un taux d’intégration sans pareil

Pour sa part, le tracteur Cirta présente un taux d’intégration proche de 100 %. En 2012, un reportage de la Télévision algérienne réalisé dans l’usine de Constantine montrait une fonderie permettant la fabrication de l’ensemble des pièces de ce tracteur, qu’elles soient en acier ou en aluminium.

Dans ces ateliers, l’acier porté à 1200 °C était façonné à l’aide d’un marteau-pilon de 20 tonnes. D’énormes louches permettaient de couler l’aluminium liquide dans des moules.

Les moteurs de différentes puissances étaient également fabriqués à Constantine. Outre les tracteurs Cirta, ils ont équipé des engins de chantiers qui sont encore utilisés pour actionner des pompes d’irrigation.

Ces usines de moteurs et de tracteurs ont été les plus grandes sur le continent africain. Des usines où se sont succédées plusieurs générations d’ouvriers.

Difficultés de vente

La production de tracteurs Cirta ne s’est pas faite sans difficultés. L’arrêt des exportations vers l’Irak après la guerre du Golfe, la baisse des subventions publiques, mais également le montage local de tracteurs de marque Sonalika a affecté les ventes des tracteurs Cirta.

En 2018, le Quotidien d’Oran faisait état d’ « un stock de 3.200 tracteurs invendus » datant de trois ans.

En cause, la réduction du soutien financier de l’État, passé de 30 % à 10 % pour un tracteur coûtant 3,1 millions DA. Résultat des ventes enregistrant une « chute vertigineuse », selon la même source.

À l’époque, le responsable du syndicat de l’entreprise suggérait un achat massif de tracteurs par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales au profit des communes.

En 2021, lors d’un passage sur les ondes de la Chaîne 1, Attouchi Salah, le directeur général de l’entreprise PMAT, appelait à la mise en place de mécanismes protégeant l’industrie algérienne des importations anarchiques qui ne servaient pas l’économie nationale.

Le marché des tracteurs a considérablement évolué ces dernières années. C’est notamment le cas avec l’apparition de la Fabrique de matériel Agricole (Famag), une entreprise de montage de tracteurs indiens.

C’est en 1990, que fort d’une expérience de quinze ans au sein de la Sonacome, un ingénieur en génie mécanique crée avec quatre collègues une entreprise de réparation de tracteurs Cirta. Le succès est immédiat.

« Le client ramenait sa machine ou son tracteur en panne et il repartait tout de suite avec un moteur ou un tracteur déjà rénové. Et ça marchait », confiait-il en 2017 à l’hebdomadaire Crésus. L’entreprise compte au bout de quelque temps 20 personnes.

En 2004, un contrat est signé avec la société indienne Sonalika International Tractors Ltd (ITL) pour l’assemblage de tracteurs en Algérie.

ITL, un constructeur, dont en 2014 le site spécialisé Matériel Agricole indiquait son « intention d’ouvrir deux nouvelles usines d’assemblage en Afrique en complément des trois qu’il possède déjà au Cameroun, au Nigéria et en Algérie. »

Pour ITL, la stratégie de conquête du marché africain repose sur un placement de tracteurs « entre les marques occidentales jugées trop technologiques et des produits chinois estimés trop légers », selon la même source.

Aussitôt l’accord signé, Famag assemble 12 tracteurs, 24 l’année suivante et 5.000 en 2015. En 2017, le dirigeant de Famag confie à la presse : « Aujourd’hui, nous avons plus de 30.000 tracteurs qui labourent les terres algériennes, soit à peu près 30 % du parc national ».

Quand il lui est demandé avec quel taux d’intégration, il avoue espérer un taux d’intégration de 40 % à « court terme ».

Tracteur Cirta, bon à tout faire

Problème, le tracteur Cirta 65 CV construit sous licence Deutz n’a pas évolué depuis les années 1970. Choisi pour la réputation de robustesse des produits de cette firme allemande, le tracteur n’a pas démérité.

Bien que de conception simple, l’engin a rendu d’énormes services aux agriculteurs algériens.

Son apparition a coïncidé avec la fabrication locale de remorques et de citernes, toutes aussi peu sophistiquées. Ainsi, l’agriculteur pouvait travailler le sol, transporter des sacs de grains ou d’engrais, des bottes de paille et grâce à sa citerne transporter de l’eau pour les besoins des animaux d’élevage ou du gasoil.

Les populations rurales ont également bénéficié du tracteur Cirta pour le transport de matériaux de construction, d’eau ou tout simplement amener les enfants des villages isolés à l’école les jours de mauvais temps.

Sur le tracteur Cirta, le confort n’est pas de mise. Les premiers modèles ne possédaient ni cabine, ni arceau de sécurité en cas de retournement, ni siège à suspension. Les chauffeurs doivent rester stoïques au volant de l’engin à labourer ou semer des heures entières les jours de pluie ou de grand froid.

L’été, seul un chapeau permet de s’abriter des ardeurs du soleil. Parfois, l’ingéniosité d’artisans locaux permet un minimum de confort en installant une cabine.

Tracteur Cirta, une longévité exceptionnelle

L’apparition de tracteurs de différentes marques n’a pas affecté la popularité de cet engin en Algérie. Comme le camion GAK, le tracteur Cirta a ses adeptes et sur le marché de l’occasion, il reste très recherché.

Sur le site d’annonces Ouedkniss, un tracteur Cirta 6807 de 1987 est affiché à 1,11 million DA, un autre de 2009 à 2,88 millions ou un exemplaire de 2015 à 2,45 millions DA. Des montants à rapprocher du prix du quintal de blé dur acheté à 6.000 DA aux agriculteurs par l’OAIC.

Sa réputation, le tracteur Cirta la doit à sa robustesse, à son prix relativement accessible et à sa facilité d’entretien. Pour beaucoup de mécaniciens, l’engin n’a plus de secret.

Il est facilement réparable et la production locale de pièces détachées permet une large disponibilité. Lorsque la batterie du tracteur est hors d’usage, en fin de journée, il suffit de le garer sur une pente pour qu’il redémarre le lendemain matin.

Un agriculteur témoigne sur les réseaux sociaux : « Il est increvable, une boîte de vitesse solide, des freins impeccables, acheté en 1981 par mon père et il est encore en très bon état, je l’ai revendu une fortune, pour acheter un tracteur neuf de 90 CV, 4×4, cabine ».

Certes, le tracteur Cirta n’est pas sans reproches. Il n’a pas su évoluer et ses différentes versions ont du mal à tirer le matériel aratoire de plus large envergure.

Il faut actuellement toute une journée pour labourer 2 hectares sauf à utiliser le non-labour. Un désavantage à l’heure où le ministère de l’Agriculture et du Développement rural souhaite emblaver 3,2 millions d’hectares lors de la prochaine campagne de semis contre 1,9 million d’hectares auparavant.

Longtemps fleuron de l’industrie mécanique en Algérie, la saga du tracteur Cirta illustre aussi la guerre que se mènent les marques étrangères pour la conquête du marché africain, dont le marché algérien.

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