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Une entreprise française se plaint de la perte du marché algérien

Une entreprise française se plaint de la perte du marché algérien

isigny-lait-infantile.fr
La coopérative laitière française Isigny

Une coopérative laitière normande se plaint de la faiblesse de ses exportations vers l’Algérie.  Son président a récemment indiqué qu’avec l’Algérie « tout est fermé, alors qu’il y a pourtant un accord de libre-échange entre l’Algérie et l’UE » allant jusqu’à dire que « c’est illégal ».

C’est le quotidien La Presse de la Manche du 11 février qui rapporte les propos d’Arnaud Fossey, éleveur et président de la coopérative d’Isigny Ste Mère.

Des propos tenus début février lorsque les responsables de la coopérative ont évoqué les exportations vers les États-Unis à la lumière des dernières déclarations du président américain Donald Trump. Arnaud Fossey a rappelé que les ventes de la coopérative y sont modestes et concernent essentiellement du beurre et des fromages : Mimolette et Brie.

« Avec l’Algérie, tout est fermé »

Puis a accusé : « Par contre, avec l’Algérie, tout est fermé, alors qu’il y a pourtant un accord de libre-échange entre l’Algérie et l’UE, donc c’est illégal ». Quant à Daniel Delahaye, l’ancien directeur général (DG), il a ajouté : « On a des problèmes avec l’Algérie à peu près tous les dix ans ».

Il semble que ce dernier ait du mal à accepter que les autorités algériennes refusent que le marché algérien soit considéré comme un simple déversoir de poudre de lait et d’autres produits laitiers étrangers. Parmi eux, la Mimolette, un fromage qui a reçu en 2023 le titre de meilleur fromage du monde à Lyon.

UE-Algérie : déséquilibre dans les échanges commerciaux

Le texte de l’Accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne indique dans son article premier, que son objectif est de : « développer les échanges, assurer l’essor de relations économiques et sociales équilibrées entre les parties ».

Qu’en est-il des « relations économiques et sociales équilibrées » ? Un bilan d’étape réalisé en 2015 fait ressortir un important déficit en défaveur de l’Algérie dans le segment hors hydrocarbures. En 10 ans, l’Algérie a importé pour 220 milliards d’euros de marchandises depuis l’Union européenne et y a exporté pour 14 milliards d’euros, hors pétrole et gaz.

Quant au manque à gagner en matière de droits de douane lié au démantèlement tarifaire, il s’est élevé durant la même période à 700 milliards de dinars.

L’industrie algérienne a également reculé avec des importations globales (UE et reste du monde) culminant à 60 milliards de dollars au milieu des années 2010. Sa part dans le PIB de l’Algérie est devenue insignifiante. Par ailleurs, les investissements de l’UE en Algérie restent très faibles.

Lors d’une réunion du Conseil des ministres fin janvier, le président Abdelmadjid Tebboune a donné des précisions importantes sur ce qui est recherché par l’Algérie dans sa volonté de réviser l’accord d’association qui lie l’Algérie à l’UE depuis 2005. Le président a insisté sur le fait que cette révision vise à construire un partenariat économique gagnant-gagnant, tout en préservant de bonnes relations avec l’UE.

Des partenariats avec Danone, Lactalis et Bel

Le texte de l’accord d’association est clair. Son article 58 concernant l’agriculture et la pêche est explicite en ce qui concerne la coopération entre les deux pays.

Il est ainsi stipulé qu’elle sera plus particulièrement orientée vers : « le soutien de politiques visant au développement et à la diversification de la production et la sécurité alimentaire ».

Il est également indiqué que cette coopération passe par : « l’établissement de relations plus étroites, à titre volontaire, entre les entreprises, les groupes et les organisations professionnelles et interprofessionnelles représentant l’agriculture, la pêche et l’agro-industrie ».

Quant à l’article 53 portant sur la coopération industrielle, il stipule dans son alinéa C que celle-ci vise à : « soutenir les efforts de modernisation et de restructuration de l’industrie y compris l’industrie agroalimentaire » en Algérie.

Alors que la direction de la coopérative d’Isigny Ste Mère se félicite d’une stratégie d’exportation tout azimut, notamment ces dernières années vers l’Algérie, nulle trace de partenariats avec ce pays à l’opposé d’autres acteurs de la filière lait française.

À commencer par Bretagne International, un consortium d’entreprises bretonnes, qui a initié en 2012 avec le ministère algérien de l’Agriculture le projet Albane. Celui-ci vise à un transfert de savoir-faire au bénéfice des éleveurs des wilayas de Blida, Relizane et Souk Ahras. Pour cela, une somme de 2,2 millions d’euros a été débloquée : 1,53 M€ côté algérien et 0,75 M€ côté français. Résultat à Souk-Ahras, la production de lait a augmenté de 47 %.

Les groupes français Danone, Lactalis et Bel se sont installées en Algérie où ils disposent d’importantes parts du marché local.

Sous le nom de Danone Djurdjura, cette laiterie a permis d’initier les éleveurs aux techniques modernes et à des exigences sanitaires pointues. L’usine de la marque français est installée à Akbou à l’ouest de Béjaïa.

À Blida, l’usine Célia-Lactalis fabrique « des produits haut de gamme – lait en poudre, camembert, fromages frais et fondus sous marque Président – avec le souci de valoriser la production des éleveurs algériens », relevait en 2021 une note de l’ambassade de France en Algérie.

Quant à la Fromagerie Bel Algérie, depuis 2002, installée à Koléa (Tipaza) elle s’engage « dans une logique d’accompagnement et de développement de la filière notamment sur la partie fromage », confiait en 2021 à la presse son directeur général, Xavier François.

Il ajoutait : « on n’a pas la prétention de localiser toutes nos productions de matières premières à court terme, mais depuis quatre ou cinq ans, on a accéléré ce plan ».

Bel Algérie revendique en matière d’emballage carton un taux d’intégration de l’ordre de 90 %. L’entreprise recycle 64 % de déchets, réduit sa consommation d’eau et d’électricité et Cécile Béliot la DG préconise une « agriculture régénératrice » respectueuse de l’environnement.

Coopérative d’Isigny, l’export comme leitmotiv

Dans le cas de la coopérative d’Isigny Ste Mère, la stratégie est centrée sur l’export.

En juin 2023, à l’occasion de son départ à la retraite, Daniel Delahaye indiquait : « J’ai mis les pieds, ici, il y a 49 ans » et dès 1981, il a vu tout l’intérêt de miser sur l’export.

« J’ai vendu le premier kilo de beurre à l’export. C’était en Angleterre », se souvient-il. Ce pays deviendra le premier marché européen d’Isigny Ste Mère.  Il ajoute : « C’était la poule aux œufs d’or, il y a vingt ans », rapporte le quotidien Ouest-France.

À partir de 1990, la coopérative se lance dans l’exportation de lait infantile avec dès 2010 un contrat en Chine qui permet de nourrir plus de 2 millions de bébés par jour.

La presse française parlera « d’eldorado chinois » à propos de ce contrat. La coopérative exporte aujourd’hui ses produits dans 150 pays et à l’été 2024, elle figurait dans le palmarès des « 75 champions français de l’export » du mensuel l’Usine Nouvelle.

À Isigny, près de deux vaches sur trois travaillent pour l’exportation. En 2021, lors d’une assemblée générale, un adhérent s’exclamait : « Pourvu que ça dure », souligne Ouest-France.

La coopérative ne laisse aucune place à des partenariats à l’image de ceux noués en Algérie par Danone Djurdjura, Lactalis ou Bel.

Depuis la Normandie, l’ex-DG de la coopérative ne semble pas avoir pris la mesure du désir de l’Algérie d’aller vers des échanges équilibrés avec l’UE, et surtout de sa volonté de produire localement du lait.

Il est à espérer qu’après Daniel Delahaye, son successeur soit de ce type de managers sensibles à la notion d’échanges équilibrés. Les consommateurs algériens pourraient alors consommer la Mimolette d’Isigny.

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