L’Algérie manque de viandes. Elle a décidé de recourir à l’importation pour combler son déficit en ce produit de large consommation, en attendant la relance de l’élevage bovin et ovin.
Au cœur de cette stratégie de relance se trouve la question de la disponibilité des fourrages pour nourrir les moutons notamment.
Face à des prix de la viande de mouton qui oscillent selon la disponibilité en fourrages, les professionnels de la filière ovine en Algérie ont organisé le 20 janvier à Djelfa un rassemblement régional.
Au programme, le développement de la production, de l’organisation de la profession et du contrôle du marché.
Une rencontre à l’initiative de la Chambre nationale d’agriculture (CNA) et de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) qui s’est tenue au niveau du Centre universitaire de Recherche en Agropastoralisme et qui a rassemblé des professionnels de 16 wilayas.
D’emblée, le secrétaire général de l’UNPA, Abdellatif Dilmi a indiqué que l’organisation de ces rencontres régionales avec les éleveurs, les maquignons et autres membres de la filière, vise à initier une « véritable opportunité » pour l’organisation de la filière ovine et de la production de viande rouge en Algérie.
Il s’agit de relancer l’élevage du mouton qui a été durement impacté par la sécheresse, le surpâturage et le manque de fourrages.
Cette rencontre intervient dans un contexte de retour des pluies et d’une meilleure offre des pâturages naturels. Dans plusieurs wilayas, les éleveurs se disent satisfaits de ce retournement de situation et certains déclarent avoir racheté des bêtes.
Un satisfecit qui ne doit pas faire oublier le retard technique de la filière ovine. Déjà dans les années 1975, une étude de l’Institut de Développement des Grandes Cultures évoquait un élevage qui, au niveau des régions céréalières, se contentait des « miettes de la céréaliculture ».
Élevage, un échec agricole
Une question revient souvent au-devant de la scène : Pourquoi l’Algérie ne produit pas assez de viande ? Et pendant combien de temps les Algériens vont-ils consommer de la viande importée ?
Pour certains observateurs, c’est là l’un des plus grands échecs de la politique agricole. Après l’importation de moutons roumains, ce serait au tour de l’Afrique du sud de souhaiter vendre de la viande à l’Algérie.
Afin de répondre à la demande, en 2020, l’Office national des statistiques chiffrait la production de fourrages à 50,7 millions de quintaux. De leur côté, dès 2016, les services agricoles ont subventionné à hauteur de 50% les semences fourragères et de 30% les fourrages enrubannés.
Cette demande en viande de la part des consommateurs algériens est un aspect positif et témoigne d’une transition alimentaire consécutive à une amélioration certaine du niveau de vie.
Cependant, dans un pays semi-aride, la production de viande s’avère particulière notamment en milieu steppique, même si les parcours comptent 20 millions d’hectares et sont qualifiés de « pays du mouton ».
Dès 2008, les universitaires Nedjraoui Dalila et Bédrani Slimane en dressait l’état : « La gestion irrationnelle des parcours, l’introduction de moyens et de techniques de développement inadaptés au milieu, le manque de concertations entre les différents acteurs du développement sont autant de facteurs qui ont contribué à la dégradation du milieu et des ressources naturelles et à la rupture des équilibres écologiques, et socioéconomiques ».
Dans le monde, il existe des réussites dans ce genre d’environnement semblable à la steppe algérienne. C’est le cas des éleveurs de moutons en Australie.
Dans un environnement semi-aride semblable à l’Algérie, mais avec des sols plus profonds, les Australiens ont développé une offre fourragère considérable sous forme d’arbustes fourragers dont l’atriplex, une espèce présente en Algérie.
Si des plantations de ces arbustes fourragers ont été réalisées dans les wilayas steppiques, elles ne l’ont été que sur des surfaces limitées au vu de la demande considérable des éleveurs.
Les causes sont multiples : différence de niveau technique mais également différence du foncier agricole entre les deux pays.
En Algérie, les parcours steppiques sont sous le statut des terres « Arch », c’est-à-dire communautaire alors qu’en Australie, une fois les aborigènes chassés de leur terre celles-ci sont devenues la propriété d’Australiens sous forme de ranchs de plusieurs milliers d’hectares.
En Algérie, pour assurer une plus grande disponibilité en fourrage, la solution passe donc par la recherche des moyens afin que les bénéficiaires de concessions agricoles et les populations rurales se lancent dans la plantation d’arbustes fourragers et dans leur exploitation rationnelle.
Les préoccupations de la profession
Abdellatif Dilmi a rappelé les préoccupations de la profession et notamment la question lancinante des fourrages. Il a ainsi appelé « à la nécessité de fournir les fourrages aux agriculteurs et éleveurs afin de barrer la route aux intermédiaires véreux », rapporte le site la Patrie news.
Des intermédiaires qualifiés de « cupides » qui, durant la sécheresse et les pénuries de fourrage, ont « spéculé sur les aliments de bétail ». A cette occasion, il s’est félicité des mesures prises par l’État en matière d’approvisionnement des éleveurs en orge.
Le représentant de l’UNPA a insisté sur « le manque de fourrages naturels et la pratique des labours qui réduisent la couverture végétale au niveau des parcours steppiques ».
L’offre en fourrages reste en effet insuffisante face à des effectifs toujours plus nombreux. Traditionnellement dans les wilayas steppiques aux sols squelettiques, le pastoralisme a été associé au nomadisme.
Les troupeaux se déplaçant alors à la recherche de parcours plus fournis. Au fil des ans, la plus grande disponibilité en tracteurs a favorisé la pratique de labours et la culture extensive de l’orge et aux risques accrus de désertification.
La loi sur l’Accession à la Propriété Foncière Agricole (APFA) a eu pour effet d’entraîner une utilisation privée d’une partie des parcours. Aujourd’hui, des agriculteurs pratiquent la culture de fourrages irrigués et des universitaires ont documenté le développement d’orge, d’avoine et de luzerne.
Des solutions jugées cependant « incomplètes face au manque de ressources pastorales » mais qui peuvent inspirer des pistes de réflexion face « au manque de ressources fourragères en milieu steppique en réduisant la charge animale sur les parcours ».
Développer la végétation naturelle
En la matière, le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS) a montré la voie avec des reboisements à partir d’arbustes fourragers : atriplex, acacia ou opuntia. Dans la région de Souk Ahras, des éleveurs déclarent aujourd’hui utiliser l’opuntia comme moyen principal pour nourrir leur troupeau.
L’atriplex occupe-t-elle une place particulière ? Il s’agit d’une plante particulièrement résistante à la sécheresse et appréciée des éleveurs qui indiquent qu’elle leur permet de s’affranchir de l’orge et du son traditionnellement servis aux animaux.
Elle est également utilisée en Tunisie et en Australie où la recherche agronomique a sélectionné une variété particulièrement productive qui est aujourd’hui plantée mécaniquement sur des milliers d’hectares.
Le défi pour la profession est aujourd’hui de protéger et de développer les fourrages naturels dont l’armoise et l’alfa et d’assurer une disponibilité accrue en arbustes fourragers. La location saisonnière aux éleveurs de parcelles ainsi améliorées par le HCDS est particulièrement appréciée par les bergers.
Reste, selon les spécialistes, à assurer un niveau de pâturage raisonné afin de laisser aux arbustes le temps de repousser après le passage des animaux.
Les enquêtes de terrain menées par les universitaires montrent que le pâturage raisonné a du mal à être respecté. Le plus souvent, au niveau des terres « Arch », des bergers laissent leur troupeau exploiter les plantes jusqu’à la racine.
Une situation vécue en Tunisie, où des universitaires tentent de préserver les espèces fourragères les plus menacées à travers la conservation de semences.
Algérie : appels à préserver les races locales de moutons
Abdelatif Dilmi a également souligné « la nécessité d’empêcher l’abattage des femelles et de renforcer le contrôle des abattoirs afin de protéger le cheptel » et a rappelé l’urgence de « préserver les races locales » de moutons.
Avec le Centre national de l’insémination artificielle et de l’amélioration génétique, la filière possède les moyens d’une amélioration génétique sous réserve que des moyens simples comme la pesée des agneaux permette d’identifier les animaux présentant les meilleures performances.
En matière de contrôle des mécanismes du marché, la Fédération nationale des éleveurs de bétail est en contact avec le Centre national du registre de commerce (CNRC) et se propose d’inciter les éleveurs à s’inscrire dans le but de développer des points de vente à l’occasion de fêtes religieuses.
Pour sa part, le président de la CNA, Mohamed Yazid Hambli, a souligné les efforts en matière de « réhabilitation des pâturages steppiques » à travers notamment « la création de réserves pastorales, l’encouragement de la culture de plantes résistantes à la sécheresse et l’équipement des points d’eau avec l’énergie solaire ».
À travers la rencontre de Djelfa, les professionnels de la filière ovine ont montré leur volonté de trouver des solutions face aux difficultés qu’ils rencontrent dont la protection sanitaire du cheptel ou la formation des jeunes bergers.
Une démarche qui provient de la base, c’est-à-dire de la part d’organisations professionnelles et non pas seulement de l’administration agricole. À ce titre, la démarche est novatrice et porteuse d’espoirs.