Lors de la primaire démocrate, le président américain Joe Biden a eu la mauvaise surprise de voir que plus de 100 000 électeurs avaient voté « blanc », mardi 27 février dernier dans le Michigan aux États-Unis.
Un geste des membres de la communauté arabe et musulmane américaine, nombreuse dans cet État traditionnellement pro-démocrate.
Un tel geste de la part des électeurs de confession musulmane lors des prochaines élections européennes est-il possible en France ?
Actuellement leur vote est scruté à la loupe. En novembre dernier, à l’initiative des universitaires Vincent Geisser et Amel Boubekeur, une journée d’études s’est tenue à Aix en Provence dans le sud de la France sur le thème : « Vote(s) musulman(s) ? Regards d’acteurs et de chercheurs ».
Ces interrogations sont liées aux résultats des élections présidentielles de 2022. Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France Insoumise (LFI) a réuni 69 % des suffrages des électeurs de confession musulmane contre seulement 55 % des suffrages des électeurs de confession catholique.
Au deuxième tour de ces présidentielles, face à Marine Le Pen, les électeurs de confession musulmane se sont ensuite massivement reportés à 92 % sur Emmanuel Macron. Ce qui a permis sa réélection pour un seconde mandat.
Depuis plusieurs années, l’Ifop analyse le vote des électeurs de confession musulmane couramment appelé « vote musulman ».
Comme le fait remarquer la chercheuse Blandine Chelini-Pont, il s’agit d’électeurs jeunes dont 70 % avaient moins de 45 ans en 2017. Selon différentes études, ils ne représentaient que 0,7 % des électeurs en 1997 mais 5 % en 2017 et 10 % actuellement.
Ainsi entre 2021 et 2022, sur les listes électorales, leur nombre aurait augmenté de 850.000. Cependant, cet électorat reste marqué par un fort taux d’abstention, comme lors des élections municipales de 2020 à Saint-Denis dans la région parisienne avec un taux de 70 %.
France : le mythe du vote musulman
Le vote de cet électorat est l’objet de spéculations que tente de démystifier Haoues Seniguer de l’Institut d’études politiques à Lyon. Interrogé en 2017 par France 24 sur le « vote musulman », il expliquait que « l’islamité n’est qu’une variable parmi d’autres dans le choix électoral ».
Bien qu’en 2012, 86 % des électeurs de confession musulmane aient voté pour François Hollande, il expliquait déjà : « La formule est ambiguë car elle tend à donner l’impression que les électeurs musulmans votent comme un seul homme en raison de leur religion. Or, il n’y a pas de déterminant islamique qui emporte le vote : oui, les électeurs de religion musulmane qui se rendent aux urnes sont musulmans… mais ils ne sont pas que ça ».
Il ajoutait que dans le secret de l’isoloir, « leurs considérations sont multiples : les contingences liées au parcours de chacun et la variable de la classe sociale entrent en ligne de compte. Certains musulmans vont être sensibles à la question de l’islamophobie, d’autres vont se déterminer en fonction de la question palestinienne tandis que d’autres encore trancheront surtout sur les questions socio-économiques. Au moment du vote, on ne sait pas quelle est la variable qui prend le dessus mais la confession n’écrase pas l’ensemble des autres options des individus ».
Ainsi, pour cet universitaire l’appartenance à une religion ne serait qu’une variable parmi d’autres dans leur choix électoral en France.
Après le score de Jean-Luc Mélenchon en 2022, ce spécialiste des rapports entre islam et politique en France rappelait dans le journal Libération : « Il n’y a pas de vote musulman mais des votes de musulmans ». Selon lui, distinguer « vote musulman » et « votes des musulmans » éviterait d’amalgamer et de communautariser une fois de plus ce groupe social.
Électorat musulman et Gaza
De nombreux observateurs rappellent que pour comprendre le vote de l’électorat de confession musulmane il est essentiel de prendre en compte le contexte dans lequel se déroulent les élections.
Lors des dernières élections présidentielles, l’émergence d’Eric Zemmour et la montée du Rassemblement National (RN) ont ravivé les manifestations de racisme. Une attitude que réprouvent fortement les Français de confession musulmane.
Lors du second tour, la Grande Mosquée de Paris est sortie de son silence et a appelé à faire obstacle à la candidate de l’extrême-droite.
Aussi plus qu’un déterminisme religieux, il s’agit d’aspirations pour plus de justice sociale, de combats anticolonialistes et anti-racistes qui caractérisent l’électorat de confession musulmane.
Depuis le 7 octobre 2023, l’actualité française est marquée par la situation à Gaza. Fin novembre, sur le site de Médiapart, Fabien Escalona et Ilyes Ramdani publiaient un article lié à cette actualité : La guerre à Gaza ravive le mythe du « vote musulman ».
LFI et son leader ne cessent de dénoncer l’agression israélienne contre les civils de Gaza et de réclamer un cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne. Ces derniers jours, Jean-Luc Mélenchon a été jusqu’à demander à ce que la France cesse de vendre des armes à Israël et a appelé les dockers à ne plus charger les bateaux transportant ces armes vers les ports israéliens. Un mot d’ordre anti-colonialiste qui rappelle ceux de la CGT et de certains partis de gauche des années 1950 lors de la guerre d’Algérie.
Interrogé ces jours-ci sur une éventuelle reconnaissance de l’État de Palestine, Stéphane Séjourné, ministre français des Affaires étrangères, semble éluder la question en répondant sur la radio France-Inter que « c’est un outil dans le processus de paix ».
De son côté, Jean-Luc Mélenchon est devenu la cible des inconditionnels d’Israël. Ces attaques sont d’autant plus nombreuses que lors des dernières élections présidentielles sur près de 10 votants de confession musulmane 7 lui ont accordé leur suffrage à LFI.
Les élections législatives qui ont suivi la présidentielle de 2022 ont amplifié la victoire des partis de gauche réunis dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Les meilleurs scores ont été obtenus dans le département de la Seine-Saint-Denis ou dans les départements du Nord et à Marseille, là où les électeurs de confession musulmane sont les plus nombreux.
Il n’en faudra pas plus pour que LFI soit accusée de « clientélisme électoral » voire « d’islamo-gauchisme » d’autant plus que Jean-Luc Mélenchon a participé, en novembre 2019, à une grande manifestation contre l’islamophobie.
Après le 7 octobre, LFI se voit accusée d’être pro-palestinienne par calcul électoral. Jusqu’au ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui a reproché à Mélenchon de chercher « le vote des barbus ».
Le 23 février dernier dans la Revue Conflits, l’universitaire américain Youssef Chouhoud notait : « Les Arabo-Américains ne sont pas les seuls électeurs susceptibles de pénaliser Joe Biden dans les urnes en novembre prochain pour sa politique étrangère. Mais même si c’était le cas, les chiffres montrent qu’une élection présidentielle peut basculer du fait de l’action – ou de l’inaction – de ce bloc électoral peu connu mais potentiellement crucial ».
En 2022 en France, il a manqué 1 % de voix supplémentaires pour que Jean-Luc Mélenchon accède au second tour de l’élection présidentielle. Or, si l’abstention est en moyenne de 28 % en France, elle est de 42 % dans l’électorat de confession musulmane. Un électeur sur deux ne vote pas.
Déjà LFI se lance dans la bataille des élections européennes qui auront lieu en juin avec, entre autres, ce slogan : « Les racistes votent, et vous ? » Un slogan qui pourrait faire mouche en banlieue. Et si les derniers événements de Gaza donnaient à LFI ce petit plus qui leur a manqué en 2022 ?
SUR LE MÊME SUJET :