Politique

Yazid Sabeg : « Il faut que la France reconnaisse les crimes contre l’humanité commis en Algérie »

Dans cet entretien à TSA, Yazid Sabeg, ancien patron de la Compagnie des signaux, et ex-commissaire à la diversité et à l’égalité des chances sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2008 à 2012), analyse les raisons profondes de la crise entre l’Algérie et la France, et développe sa vision de la relation entre les deux pays pour la transformer en une alliance d’avenir.

Ce Franco-Algérien dont les parents sont originaires de Guelma propose un plan de règlement de la crise entre les deux pays, basée sur la reconnaissance par la France des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’elle commise pendant la colonisation de l’Algérie, et un retour à l’esprit des Accords d’Evian, tout en se mettant fin, conjointement, à l’Accord de 1968.

Yazid Sabeg revient sur les affaires Jean-Michel Aphatie et Benjamin Stora. Il explique pourque ces deux personnalités font l’objet d’attaques en France, et détaille l’impact de la crise entre Alger et Paris sur la diaspora algérienne en France, la place de cette dernière dans les relations entre les deux pays.

Il critique le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et tous ceux qui réduisent la relation franco-algérienne à un flux migratoire à maitriser.

Pourquoi la France s’obstine-t-elle à réduire sa relation avec l’Algérie à une question de flux migratoires ou de sécurité, en ignorant la part tragique et humaine de cette histoire commune ?

Parce que la France a toujours refusé de regarder en face ce qu’elle a commis en Algérie. Elle préfère se réfugier derrière les chiffres, les procédures, les débats techniques sur les visas, les OQTF et les « flux migratoires », plutôt que d’affronter la vérité essentielle : l’Algérie n’est pas un pays comme un autre, c’est un morceau d’elle-même qu’elle a tenté d’arracher, sans jamais y parvenir.

À chaque crise entre les deux pays, cette part d’ombre, cette mémoire douloureuse enfouie ressurgit. Mais la France, au lieu d’y répondre par la hauteur, par la lucidité et par un sursaut d’intelligence historique, choisit de l’enterrer sous la technocratie aveugle et ignorante, la sécurité et les passions tristes.

Là-bas, en Algérie, cette mémoire que la France ignore ne s’est jamais éteinte. Elle n’est pas un chapitre d’archive mais une douleur encore vive, transmise de génération en génération.

Chaque famille algérienne porte, dans sa mémoire intime, les cicatrices des exactions, des massacres, des enfumades, des humiliations subies sous la colonisation et pendant la guerre d’indépendance.

Et ce qui est insupportable aujourd’hui, c’est de voir la France exiger encore des « efforts », des « coopérations » à un peuple qu’elle a violenté, colonisé, nié dans son humanité pendant plus d’un siècle.

Cette inversion morale est une injustice majeure et fondatrice. Et tant que la France s’obstinera à l’ignorer, à réduire la relation à une question migratoire ou sécuritaire, elle restera incapable d’écrire la moindre page d’avenir avec l’Algérie. L’histoire est là, massive, têtue, et elle ne se laissera pas contourner même si elle n’est ni enseignée ni transmise.

Comment expliquer le caractère inique de la remise en cause des Accords de 1968 ou d’Évian et de la liberté de circulation et d’installation qu’ils garantissaient ?

Parce que cette remise en cause piétine à la fois l’esprit et la lettre de ces Accords d’Évian, qui sont un traité international signé, solennel, ratifié par le Parlement à l’issue d’un référendum engageant les deux parties, et qui a mis fin à une guerre atroce. 

Ce n’était pas un simple protocole technique mais l’aboutissement d’une guerre d’indépendance sanglante, un acte de paix historique scellant un lien irréversible entre la France et l’Algérie.

Dans ces accords, la liberté de circulation, d’installation et de travail des Algériens en France — et réciproquement — n’était pas un détail ni un privilège, mais un droit fondamental.

Le général de Gaulle y voyait la condition même d’un apaisement durable, la seule voie possible pour cicatriser la blessure coloniale. Il s’agissait de garantir à jamais la reconnaissance d’une communauté de destin entre deux peuples, malgré l’indépendance. C’était l’idée d’un espace humain commun à cheval sur les deux rives de la Méditerranée.

Or, que s’est-il passé ? Depuis plus d’un demi-siècle, la France n’a cessé d’enterrer cet engagement. Par décisions unilatérales, elle a vidé ces droits de leur substance, imposé des visas, restreint le regroupement familial, multiplié les obstacles administratifs.

Et jamais — sauf en 1968 — elle n’a pris la peine de rouvrir une discussion loyale avec l’Algérie. La politique a été celle du fait accompli, du repli, du mépris de la parole donnée à Évian. 

Le plus insupportable, c’est de voir aujourd’hui certains responsables français se poser en victimes d’un « déséquilibre » qu’ils ont eux-mêmes fabriqué, en travestissant la vérité des engagements pris.

Ils osent parler d’un traité « trop favorable » à l’Algérie, alors qu’ils l’ont systématiquement vidé de son contenu pendant cinquante ans. Ce renversement des rôles est indigne. 

S’il y a déséquilibre, il est dans la promesse trahie, dans le pacte bafoué par la France elle-même. Et on ne piétine pas un héritage pareil sans conséquences graves.

Oui, il fallait sans doute revisiter certains aspects de ces accords à la lumière des réalités contemporaines. Mais cela devait se faire dans l’esprit d’Évian, par la négociation entre deux États souverains, jamais par des oukases unilatéraux. Ce qui est en jeu ici, c’est l’honneur d’un pays à tenir sa parole.

Pourquoi l’affaire Jean-Michel Aphatie signe-t-elle une faillite morale et démocratique bien plus qu’un simple dérapage médiatique, et révèle-t-elle un malaise plus profond de la conscience française ?

Parce que cette affaire ne frappe pas un mensonge, ni une provocation gratuite, mais un rappel de la vérité historique — nue, brutale, insupportable.

Ce n’est pas un dérapage qui a été sanctionné, mais un acte de courage intellectuel : oser dire, en plein espace public, que la mémoire française reste sélective, hiérarchisée, et profondément injuste.

Oser rappeler que les Algériens brûlés vifs, enfumés dans les grottes, suppliciés dans les centres de torture, valent autant que les martyrs d’Oradour-sur-Glane.

Ce n’est pas la personne de Jean-Michel Aphatie qui a déclenché cette tempête, mais ce qu’il a osé rappeler d’une vérité que la France officielle refuse toujours d’assumer.

En évoquant les massacres commis par la France en Algérie et en les comparant à Oradour, Aphatie n’a rien inventé. Il a simplement rappelé un fait historique, établi, documenté par les historiens, mais trop souvent censuré ou ignoré dans l’espace public.

Ce qui a déchaîné la violence, c’est qu’en tenant ce miroir à la société française, il a brisé le tabou ultime : celui de reconnaître que la République — cette République dont la France se fait un totem moral — fut aussi bourreau, non pas dans les hasards de la guerre, mais dans le cadre d’une politique d’État, froide, méthodique, systématique. En Algérie, la République a torturé, violé, enfumé, exterminé. Et cela, la France ne veut pas l’entendre.

Le message politique et moral de cette sanction est terrible : en France, la mémoire des souffrances subies par les Français est sanctuarisée, sacralisée. Mais celle des autres, surtout celle des Algériens, colonisés, humiliés, massacrés, reste reléguée, sans chair, sans valeur humaine, hors du champ de la compassion nationale. 

La République française peut pleurer ses propres morts, commémorer ses martyrs, mais elle refuse qu’on lui rappelle ce qu’elle a infligé aux autres. Elle ne supporte pas qu’on la confronte à ses propres crimes, surtout pas publiquement, surtout pas sur les grandes antennes.  

Ce qui a été insupportable aux yeux de certains, c’est ce rappel fondamental : la barbarie n’a pas de nationalité. La France coloniale a su pratiquer l’horreur, a su brûler, enfumer, massacrer des familles entières — hommes, femmes, enfants — dans les villages et les grottes d’Algérie. Ce simple rappel de la commune humanité des victimes a suffi à faire vaciller le récit national glorieux, celui d’une République éternellement du bon côté de l’Histoire et des Lumières.

En frappant Aphatie, en l’exilant, en l’accablant de soupçons d’antipatriotisme, la France s’est frappée elle-même.

Elle a prouvé que plus de soixante ans après l’indépendance algérienne, elle demeure incapable d’assumer le récit complet de ce qu’elle a fait — et de ce qu’elle fut. Elle a montré au monde que sur cette terre, l’histoire reste un champ de mines où la vérité coûte parfois plus cher que le mensonge.

Le véritable scandale ne réside donc pas dans les mots d’Aphatie, mais dans la violence de la réaction qu’ils ont provoquée. Cette affaire met à nu l’incapacité de la France à regarder sa propre laideur en face, à admettre que la République n’a pas toujours été du côté des droits de l’Homme, et qu’en Algérie, elle a pu se faire barbare, conquérante, et comparable aux nazis qu’elle combattait.

Cette affaire dépasse la simple polémique médiatique. Elle signe une faillite morale et une faillite démocratique. Car une démocratie qui ne peut affronter ses propres crimes, qui bâillonne ceux qui les rappellent, se condamne à l’amnésie — et à la répétition des fautes passées.

Ce n’est pas un journaliste qu’on a condamné, c’est le droit même de dire la vérité sur l’histoire coloniale française. Et c’est cette défaite-là, plus encore que le sort réservé à Aphatie, qui pèse aujourd’hui sur la conscience nationale.

Que révèle le traitement réservé à Benjamin Stora dans la controverse mémorielle franco-algérienne, et pourquoi incarne-t-il à lui seul la tragédie des loyautés croisées ?

Parce que Benjamin Stora est devenu, malgré lui, la figure emblématique de ce que la France et l’Algérie refusent encore d’assumer : la complexité, l’ambiguïté et la fraternité blessée d’une histoire commune. 

Historien rigoureux, intellectuel honnête, il a toute sa vie tenté de réconcilier deux mémoires inconciliables — celle des Français, hantés par la nostalgie ou le déni, et celle des Algériens, ravagés par la douleur et la colère.

Mais ce faisant, il a payé le prix terrible de cette position impossible. Aux yeux des uns, il est un mauvais Juif parce qu’il ose rappeler que la République française fut aussi bourreau, que l’armée de la libération s’est parfois confondue avec l’armée du crime.

Aux yeux des autres, il est un mauvais Français parce qu’il refuse la fable d’une colonisation bénigne. Aux yeux de certains Algériens enfin, il est un mauvais Algérien parce qu’il ose parler des blessures algériennes sans céder aux surenchères nationalistes, sans travestir l’histoire en un récit à sens unique.

La vérité est là : Benjamin Stora est tout cela à la fois — et c’est insupportable pour ceux qui vivent de la fracture, du ressentiment, des polémiques stériles.

Il incarne cette impossible fraternité franco-algérienne que tant d’acteurs, des deux rives, s’acharnent à détruire. Parce qu’il refuse la haine, parce qu’il persiste à croire qu’entre la France et l’Algérie, il existe une histoire partagée qui oblige, il devient la cible parfaite.  

Il subit ainsi le destin tragique de l’honnête homme, celui qui ne triche pas avec la vérité, qui refuse de choisir un camp au prix de la falsification. Et c’est bien pour cela qu’il est aujourd’hui l’adversaire désigné de tous les ennemis de la réconciliation : des nostalgériques de l’Algérie française aux nationalistes algériens les plus obtus.

Benjamin Stora incarne, dans sa chair, dans son œuvre, ce que la France et l’Algérie pourraient être si elles avaient le courage de se regarder en face : deux peuples liés par une histoire indéchirable, contraints d’inventer un avenir commun ou de sombrer ensemble dans le ressassement des haines. En s’acharnant contre lui, c’est cette possibilité même qu’on assassine.

Pourquoi la posture du ministre de l’intérieur face à l’Algérie n’est-elle pas seulement un contresens diplomatique, mais un suicide stratégique qui ruine l’avenir de la France en Méditerranée et en Afrique ?

Parce qu’en ramenant la relation franco-algérienne à une querelle migratoire, c’est une vision politique bornée, incapable de penser l’avenir qui s’affirme.

L’Algérie n’est pas un simple « flux de migrants » à tarir : c’est un partenaire stratégique, énergétique, sécuritaire, un acteur central de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord.

S’enfermer dans le fantasme d’un rapport de force, c’est condamner la France à l’isolement régional au moment même où la Chine, la Russie, la Turquie consolident leurs positions en Algérie et en Afrique.

Ceux qui applaudissent le ministre (de l’Intérieur Bruno Retailleau, NDR) aujourd’hui ne voient pas qu’il hypothèque l’influence française pour une rente électorale misérable.

À force de manipuler la mémoire de l’Algérie française comme un totem identitaire, il fait de la France un pays qui regarde derrière lui pendant que le monde avance.

Le vrai péril, il est là : dans cette incapacité à rompre avec les vieux démons coloniaux pour construire enfin une politique méditerranéenne adulte.

Justement comment expliquer que la diaspora franco-algérienne soit systématiquement prise en otage et prise à paris lors de ces crises ou de ces spasmes passionnels, comme si elle devait porter seule le poids d’une histoire mal réglée ?

Parce que, depuis trop longtemps, la France ne regarde pas la diaspora franco-algérienne comme une mixité, une richesse syncrétique issue de cette histoire partagée mais comme le reflet permanent d’une guerre qui ne dit pas son nom.

À chaque crise diplomatique, chaque tension autour de l’Algérie, ce sont ces millions de Français d’origine algérienne qui deviennent la cible expiatoire d’un malaise profond, d’un refoulé colonial jamais surmonté.

Cette diaspora porte sur ses épaules l’héritage d’Évian, mais elle n’en tire aucun droit ni aucune reconnaissance.

Elle est enfermée dans un entre-deux impossible : sommée de prouver sa loyauté à la République, suspectée à chaque soubresaut de la relation bilatérale, renvoyée sans cesse à une altérité fantasmée — comme si elle restait éternellement un corps étranger, un « prolongement de l’Algérie en France » et non un pan essentiel de la nation française.

C’est là une profonde injustice politique et morale. Car cette diaspora est précisément la matérialisation humaine des Accords d’Évian et des Déclarations du 19 mars 1962.

À l’époque, il avait été solennellement posé que la libre circulation des personnes entre les deux pays était une condition essentielle d’un apaisement historique durable.

Les familles mixtes, les trajectoires partagées, les générations issues de cette histoire commune devaient constituer le socle d’un avenir méditerranéen apaisé et fécond.  

Or, la France a trahi cet esprit d’Évian. Elle a trahi cette promesse en transformant la présence franco-algérienne sur son sol en un problème, en une angoisse politique et identitaire.

La diaspora n’a jamais été un danger : elle est la preuve la plus vivante de ce lien indestructible qui existe, malgré tout, entre les deux peuples.

Mais l’Algérie porte aussi, de son côté, une part de cette responsabilité. En traitant parfois ses propres ressortissants établis en France comme des étrangers, des agents de l’ancienne puissance coloniale ou des citoyens de seconde zone, elle a contribué à cet exil intérieur. La diaspora s’est retrouvée piégée, ni pleinement algérienne dans le regard d’Alger, ni pleinement française aux yeux de Paris.

Il faut désormais rompre avec ce cercle vicieux. Reconnaître que la diaspora franco-algérienne est au cœur du pacte d’Évian, au cœur du futur possible entre les deux nations. La traiter autrement que comme un simple sujet de contentieux migratoire ou sécuritaire : en faire, enfin, un levier de réconciliation, d’intelligence partagée et de mémoire réconciliée.

Et cela ne se fera qu’en assumant des deux côtés — à Paris comme à Alger — que cette communauté est une force, pas un fardeau. Qu’elle incarne ce que les Accords d’Évian avaient voulu : non pas une frontière entre deux mondes, mais un pont solide et durable.

Pensez-vous vraiment que la France finira par assumer officiellement les crimes de guerre commis en Algérie, comme elle l’a fait pour Vichy ou la Shoah ? Pourquoi ce déni persiste-t-il ?

Elle y sera contrainte, car aucune nation ne peut indéfiniment échapper à son histoire. Ce n’est pas une question de diplomatie ni une concession à l’Algérie : c’est une exigence de justice, une nécessité morale et politique, une dette que la France contracte vis-à-vis d’elle-même et de sa propre idée de la République.

La vérité historique finit toujours par remonter à la surface, et la France, si elle veut se réconcilier avec son propre récit national, devra franchir ce seuil.

La France a su reconnaître, avec un courage certain, qu’elle avait livré des Juifs français et étrangers aux nazis sous Vichy. Elle a reconnu la Shoah. Elle a reconnu le génocide arménien, le génocide rwandais.

Comment pourrait-elle continuer à se taire sur l’Algérie, cette guerre qui s’est déroulée sur ce qui était alors le territoire de la République française elle-même, contre des citoyens français que l’on appelait encore, cyniquement, des « indigènes » ?

En Algérie, ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des villages entiers qui ont été massacrés, torturés, enfumés dans les grottes, rayés de la carte, au nom d’une République devenue barbare.

Cette barbarie d’État ne s’efface pas par des discours d’autojustification ni par l’évocation fallacieuse de quelques ponts, routes ou hôpitaux censés solder le compte de l’Histoire. 

Depuis quand des infrastructures rachètent-elles le sang versé ? Depuis quand un viaduc ou une école justifient-ils l’enfumage de familles entières ou les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata, ou la torture industrialisée dans les centres clandestins ? Ce déni de réalité est indigne d’un pays qui se dit patrie des droits de l’Homme.

Et le plus grave, c’est qu’en persistant dans cette dénégation ou la revendication d’une œuvre bienfaitrice certains en France ne blesse pas seulement l’Algérie mais mutilent la propre mémoire de notre pays.

Ils se condamnent à porter ce poids mortifère qui empoisonne chacune de ses tentatives de dialogue avec l’Algérie et, même au-delà, avec tout le Maghreb et l’Afrique.

La France doit cette reconnaissance non pas à Alger, mais à elle-même, à ses enfants, à son récit collectif. Ce n’est pas un marchandage, ce n’est pas une repentance humiliante, loin de là , c’est un acte politique de grandeur. Comme la reconnaissance des crimes de Vichy fut une étape nécessaire, comme celle des génocides arménien ou rwandais, la reconnaissance des crimes de guerre en Algérie est une étape vitale et incontournable.

Ce n’est pas à l’Algérie d’arracher cette vérité. C’est aux Français eux-mêmes de l’exiger, de l’imposer. Parce qu’aucune réconciliation durable, aucun partenariat d’avenir ne pourra naître sur ce champ de ruines tant que ce chapitre ne sera pas ouvert et assumé.

Pourquoi la France semble-t-elle avoir perdu la maîtrise de cette relation, livrant sa politique algérienne aux ambitions personnelles et aux réflexes électoralistes de quelques-uns, et qu’est-ce que cela dit aussi des responsabilités algériennes ?

Parce que la France vit une crise politique, morale et diplomatique profonde. Elle n’a plus de cap clair y compris sur l’Algérie, ni de vision stratégique à la hauteur de cette relation exceptionnelle forgée par un siècle et demi d’histoire commune.

Elle a laissé la relation bilatérale dériver au gré des crises intérieures ou géopolitiques, des calculs électoralistes, des postures de ministres ou d’élus locaux en quête d’audience ou d’autorité factice.

Le dossier algérien, au lieu d’être géré avec l’intelligence et la solennité qu’impose l’héritage d’Évian et des Déclarations du 19 mars 1962, a été abandonné à des responsables politiques souvent incultes, sans mémoire historique, ni conscience des fragilités et des équilibres qu’ils manipulaient.

En réduisant l’Algérie à un simple problème migratoire ou sécuritaire, cette France-là et le gouvernement français l’a suivie s’est défaite de son rôle historique de garante de la stabilité au Maghreb. Elle a laissé s’installer un vide dans lequel d’autres puissances — la Chine, la Russie, la Turquie ou même les États-Unis — se sont engouffrées.

Ce renoncement est tragique. Car la France, devait, c’est un héritage patriotique de De Gaulle, rester un acteur majeur, un modérateur, un partenaire loyal, capable d’empêcher les dérapages et d’accompagner l’Algérie dans ses fragilités et ses mutations. Parce que c’est l’intérêt de la France tout simplement.  

Mais l’Algérie, de son côté, porte aussi une lourde responsabilité. Depuis 1965, elle a progressivement renié l’esprit de ce pacte historique d’Evian et de mars 1962.

Par un repli nationaliste, par une instrumentalisation de la mémoire à des fins de légitimation intérieure, elle a parfois cherché à se définir d’abord contre la France, plutôt qu’en partenaire d’un avenir commun.

Elle a laissé prospérer des discours qui font de la France l’ennemi permanent, du passé colonial un fonds de commerce politique, et de la diaspora franco-algérienne un simple levier de suspicion. En refusant de reconnaître ses propres obligations vis-à-vis de ses ressortissants établis en France et de la communauté des binationaux, l’Algérie a contribué à l’exil intérieur de ces millions de femmes et d’hommes.

Le résultat est là : une relation bilatérale empoisonnée, figée dans un cycle infernal de malentendus, de provocations, d’instrumentalisations de part et d’autre. Un gâchis historique.

Et j’ajouterai pour exonérer les Autorités algériennes du procès permanent d’exploiter une rente mémorielle sur le dos de la France et des Algériens que les responsables français et non des moindres exploitent à l’inverse une rente identique cette fois sur le dos de l’Algérie et des Français.

Il est temps que les deux États se reprennent en assurant la pleine maîtrise de cette relation, non dans l’arrogance ou la menace ou certains l’ont mené, mais dans la hauteur de vue qu’elle nécessite. Et il est temps aussi que l’Algérie reconnaisse que cette histoire commune l’oblige, non à la rancune éternelle, mais à la construction patiente d’un partenariat d’égal à égal.

Sans ce double sursaut, la relation franco-algérienne restera prisonnière de ses fantômes. Et la France, en abdiquant son rôle historique au Maghreb, hypothèque non seulement son avenir régional mais aussi son rang en Afrique et en Méditerranée.

Pourquoi peut-on dire que la droite identitaire et revancharde — hélas dites-vous rejointe par une partie de la gauche — a toujours fait fausse route sur l’Algérie et porte une lourde responsabilité dans le gâchis actuel des relations franco-algériennes ?

Parce que depuis l’indépendance, cette droite revancharde, encore hantée par l’Algérie française, n’a jamais accepté la défaite historique de 1962 ni compris la nature du lien irréductible qui unissait et unit encore la France et l’Algérie.

Elle a systématiquement fait de la France un supposé mal aimé des Algériens, de l’Algérie un  épouvantail, un marqueur identitaire, un instrument électoral, 

Derrière les discours sur l’immigration ou la sécurité ou encore l’islam ou encore la laïcité qu’elle déniât aux indigènes c’est toujours la même logique : réactiver le mythe de l’Algérie française, flatter les nostalgies coloniales, instrumentaliser la douleur des harkis tout en méprisant la diaspora franco-algérienne.

Derniers arguments en vogue l’Algérie serait à l’origine de tous nos maux sociaux  y compris les déficits budgétaires ou les gaspillages de l’aide extérieure et même de l’insécurité à la lumière de quelques malheureux et tragiques faits divers.

Le Ministre de l’Intérieur qui fait feu de tout bois contre l’Algérie  est aujourd’hui l’incarnation la plus caricaturale, mais aussi  l’héritier d’une longue lignée d’hommes politiques — de Fillon à Ciotti — qui ont méthodiquement nourri le ressentiment, la peur de l’autre et le rejet de l’Algérie.

Cette stratégie n’a produit que des désastres. Elle a figé la relation dans la défiance, empêché toute reconnaissance mémorielle, réduit l’Algérie à un problème migratoire et contribué aussi à la construction d’un ennemi intérieur : le Français d’origine algérienne, soupçonné en permanence de double allégeance.

Pire encore, cette droite a entraîné une partie de la gauche sur ce terrain miné, jusqu’à ce que les thèses de l’extrême droite sur la « décolonisation à l’envers » ou le « grand remplacement » contaminent le débat public. 

Le gâchis est immense. Non seulement cette vision passéiste et amnésique a empêché la France de jouer son rôle historique au Maghreb et en Afrique, mais elle a nourri en Algérie un nationalisme de ressentiment, une posture de défiance qui alimente le cycle infernal des crises diplomatiques.

Le plus tragique, c’est qu’en voulant se venger d’un passé qu’elle refuse d’assumer, cette droite identitaire a fini par enfermer la France elle-même dans le piège algérien. Elle a transformé une relation vitale — fondée sur l’histoire, la géographie, la culture et les intérêts communs — en un champ de bataille électoral et identitaire. 

Aujourd’hui, il est plus qu’urgent de rompre avec cette vision étriquée et revancharde. De renouer avec l’esprit et la lettre des Accords d’Évian. De retrouver la grandeur du geste gaullien qui consistait à regarder l’Algérie non comme un fardeau ou une menace, mais comme un partenaire nécessaire, un prolongement naturel, le Maghreb central, de la France en Méditerranée et en Afrique.

Car si la France a un avenir stratégique dans cette région du monde, c’est à condition de sortir de ce tête-à-tête mortifère avec ses vieux démons coloniaux. Sinon, elle ne récoltera que l’isolement et la perte d’influence, là où elle doit être un acteur et une puissance de la paix et de la stabilité.

Vous soutenez que la France et l’Algérie se sont éloignées de l’esprit et de la lettre des Accords d’Évian et qu’elles portent, chacune, leur part de responsabilité dans l’impasse actuelle. Pourquoi ? 

Oui, c’est une vérité historique et politique qu’il faut enfin dire avec clarté. Les Accords d’Évian — et les Déclarations politiques du 19 mars 1962 — portaient en eux une ambition immense : celle de refermer les plaies d’un siècle et demi de colonisation par un pacte d’égalité et de respect mutuel, qui aurait permis d’inventer une relation d’exception entre la France et l’Algérie, tournée vers l’avenir.

Ces accords n’étaient pas qu’un simple cessez-le-feu. Ils fondaient un cadre global : libre circulation des personnes, coopération en matière de défense, de ressources stratégiques, d’économie, de culture et d’éducation.

Ils incarnaient l’idée — portée par De Gaulle — que l’Algérie, une fois indépendante, resterait une alliée, et que la France assumerait son rôle d’accompagnatrice et de garante, notamment face aux périls extérieurs ou aux crises internes.

Mais, très vite, dès 1965, ce pacte a été trahi, des deux côtés.

La France, par cynisme politique, par calculs stratégiques et par lâcheté, a progressivement vidé ces engagements de leur contenu. Elle a renié la promesse d’Évian sur la liberté de circulation, imposant visas, quotas, durcissements administratifs, allant jusqu’à instrumentaliser la question migratoire comme arme électorale.

Elle a renoncé à son rôle de garant, a déserté la Méditerranée et le Maghreb au profit de postures purement hexagonales, laissant l’Algérie devenir un terrain de tensions plutôt qu’un espace de dialogue.

Mais l’Algérie porte aussi sa part de responsabilité. En choisissant très vite la rupture, la crispation et le repli nationaliste, elle a d’une certaine manière aussi détournée l’esprit d’Évian.

En refusant d’assumer les complexités de l’héritage commun, elle a contribué à transformer la relation en face-à-face stérile. Elle a souvent préféré instrumentaliser la mémoire pour consolider sa conscience nationale et son indépendance légitime plutôt que de chercher une réconciliation véritable.

Aujourd’hui, il est urgent de rompre avec ce cycle de reniements réciproques. De reconnaître, des deux côtés de la Méditerranée, que les promesses d’Évian n’ont pas été tenues. Qu’elles ont été sacrifiées sur l’autel des intérêts immédiats, des peurs et des rancunes. Et qu’il faut, enfin, refonder cette relation sur des bases assumées, claires, équilibrées.

C’est la seule façon d’éviter que cette histoire partagée ne continue à empoisonner l’avenir. La France et l’Algérie doivent redevenir des partenaires adultes, capables de se dire leurs vérités sans se haïr, capables de bâtir un futur sans rester prisonniers de leurs fautes passées. 

Vous dites qu’une dénonciation conjointe de l’accord de 1968 ne devrait pas être comprise non comme une rupture, mais comme le préalable nécessaire à un retour à l’esprit des Accords d’Évian et des engagements solennels voulus par le général de Gaulle. Pourquoi ?

Parce que cet accord de 1968, signé dans un contexte particulier de postindépendance et de grande incertitude politique et d’expansion migratoire si j’ose dire s’est depuis fossilisé.

Il est devenu un instrument de gestion technocratique et un objet de tensions permanentes, dévoyé de sa vocation initiale.

Ce texte, qui prétendait régler la situation des Algériens en France dans le prolongement des Accords d’Évian, n’a plus rien à voir aujourd’hui avec l’ambition politique, humaine et historique qui avait présidé à ces derniers.  

Sa dénonciation conjointe — solennelle, réfléchie, encadrée juridiquement et politiquement — serait l’acte fondateur d’un véritable retour à la source : l’esprit et la lettre des Accords d’Évian.

Non pas pour effacer l’histoire ou réécrire le passé, mais pour reconnaître, ensemble, que ce qui était pensé comme une solution transitoire est devenu un blocage durable et qu’il faut corriger. 

Revenir à Évian, c’est se rappeler que le général de Gaulle n’a jamais envisagé l’indépendance algérienne comme une séparation brutale, mais comme une réinvention du lien.

Dans ses déclarations politiques du 19 mars 1962, il affirmait que la France avait non seulement des responsabilités, mais aussi des devoirs envers l’Algérie. Il y engageait   je le redis, la France dans un partenariat global et solennel : sur les questions de défense, d’accès aux ressources stratégiques, de développement économique, de circulation des hommes et des idées.

La dénonciation conjointe de l’Accord de 1968 permettrait de solder une anomalie historique : celle d’un texte qui a réduit cette relation d’exception à une gestion purement migratoire, source d’algarades, de contentieux, d’injustices et de soupçons permanents.

Elle serait le signal qu’il est temps de refonder cette relation non plus sur la crispation, mais sur le respect mutuel, les réalités, les transformations du monde et la reconnaissance des responsabilités partagées.  

Juridiquement, cela mettrait fin à un régime d’exception dévoyé. Politiquement, ce serait un choix courageux : celui de deux États adultes, conscients que la poursuite de ce malentendu historique alimente la défiance des peuples et fragilise la diaspora franco-algérienne.

Ce geste ouvrirait la voie à un nouveau traité moderne, lucide et réaliste, fonctionnel, équilibré, respectueux de la souveraineté des deux nations et des droits humains capable de traduire dans les faits l’intuition gaullienne : la France et l’Algérie sont liées par une histoire qui les oblige, et cette obligation ne peut se réduire à la gestion technique et brutale ou idéologisée des flux migratoires.  

Enfin, et c’est fondamental, la France se   repositionnerait dans son rôle d’acteur-clé en Méditerranée et en Afrique du Nord  — là où son influence historique, culturelle et stratégique reste incontournable — non plus en puissance tutélaire ou arrogante, mais en partenaire d’un équilibre régional qui reste à construire et dont elle doit être la clef y compris sur le champ migratoire qui est aujourd’hui une question multilatérale. 

Dans quel cadre politique et historique les Accords d’Évian et les Déclarations politiques du 19 mars 1962 avaient-ils scellé une relation spéciale entre la France et l’Algérie, et la France a-t-elle su, dès les premières années, assumer aussi ce rôle de garant et d’allié ?

Les Accords d’Évian, signés en mars 1962, ne furent jamais un simple cessez-le-feu ou un protocole technique de fin de guerre.

Ils incarnaient une ambition politique inédite : poser les fondations d’une relation singulière entre deux nations liées par 132 ans d’histoire commune — tragique, mais indissoluble.

Ils proclamaient à la fois la fin d’un conflit sanglant et la naissance d’un pacte de réconciliation durable, scellé par des engagements solennels.

Le général de Gaulle, lucide sur l’irréductibilité des liens tissés entre la France et l’Algérie, avait compris que l’indépendance ne devait pas signifier la rupture mais la transformation d’un lien fondamental.

La France s’engageait à rester un partenaire loyal, un acteur clé du nouvel équilibre méditerranéen et africain.

Les Accords d’Évian, prolongés et précisés par les Déclarations politiques du 19 mars 1962, prévoyaient des dispositifs couvrant bien sûr les aspects politiques, les aspects civils et militaires de la transition, la France ne devait pas tourner le dos à l’Algérie, mais au contraire demeurer à ses côtés, consciente des responsabilités historiques et stratégiques que lui conférait ce passé commun.

L’idée centrale était de bâtir une communauté de destin, où la France, sans nostalgie coloniale, jouerait un rôle d’allié loyal, de garant des équilibres régionaux et de partenaire engagé dans le développement de la jeune République algérienne. Le général de Gaulle voyait dans cette relation d’exception une nécessité vitale : la stabilité de l’Algérie conditionnait celle du Maghreb, de la Méditerranée et de la France elle-même.

La première grande épreuve de cet engagement eut lieu dès 1963, avec la guerre des Sables qui opposa l’Algérie au Maroc sur la question des frontières. Ce fut le premier test grandeur nature de la vision d’Évian : la France allait-elle tenir son rôle de garant et d’allié ? La réponse, à ce moment-là, fut oui.

Consciente de la fragilité d’une Algérie encore meurtrie par sept années de guerre d’indépendance, la France gaullienne assuma pleinement la fonction d’amiable compositeur.

Elle se plaça en médiatrice lucide, veillant à préserver la souveraineté de l’Algérie et à empêcher que la région ne bascule dans le chaos. Ce fut un moment rare où la France sut encore se hisser à la hauteur de ses responsabilités historiques. 

Le général de Gaulle savait que la survie de l’Algérie indépendante, son insertion dans un cadre régional apaisé, était un enjeu majeur pour la France elle-même. À travers ce rôle de stabilisateur, la France exerçait une influence légitime, issue d’un pacte historique qui lui conférait une place singulière dans le Maghreb et en Afrique.

Mais ce moment de lucidité ne dura pas. Très vite, la France s’est éloignée de cette posture d’équilibre et de responsabilité. Les calculs politiciens, les rancunes mal éteintes, la tentation permanente d’instrumentaliser la question algérienne à des fins de politique intérieure ont eu raison de cette vision. 

En renonçant à ce rôle naturel d’arbitre et de garant que l’Histoire et les Accords d’Évian lui avaient confié, la France a perdu plus que de l’influence : elle a perdu la possibilité de peser durablement sur le destin d’une région dont elle est pourtant inséparable.

Le gâchis commence là. Et c’est cette vocation qu’il faut aujourd’hui retrouver, non par nostalgie, mais par lucidité et par fidélité à un engagement solennel qui ne peut être remis en cause. 

La France a-t-elle, dès les premières années de l’indépendance algérienne, assumé ce rôle de garant et d’allié, comme le voulait l’esprit des Accords d’Évian ? 

Oui, et l’histoire l’a prouvé dès 1963, lors du premier conflit frontalier majeur entre l’Algérie et le Maroc, connu sous le nom de la guerre des Sables.

À ce moment précis, l’Algérie indépendante, encore vacillante après sept années de guerre dévastatrice, se retrouve confrontée à la volonté expansionniste du Maroc qui revendique une partie du territoire algérien. Ce fut le premier test grandeur nature de la vision gaullienne des Accords d’Évian et des Déclarations du 19 mars 1962, dans leur dimension stratégique.

La France, fidèle à ce rôle d’amiable compositeur et de garant de la stabilité régionale, s’est alors naturellement posée en arbitre.

Elle a rappelé à tous qu’elle avait, en vertu des engagements d’Évian, une responsabilité spécifique dans la préservation de l’équilibre au Maghreb.

Ce fut un moment rare où la France comprit que son rôle ne s’arrêtait pas aux portes de l’indépendance algérienne, mais qu’elle restait engagée dans la stabilisation d’un espace géopolitique dont elle connaissait mieux que quiconque les fragilités et les fractures héritées de la colonisation.

Cet épisode démontre qu’il existait bel et bien, dans les premières années, une compréhension partagée de la nécessité d’éviter de transformer la décolonisation en guerre froide régionale.

La France jouait encore son rôle de puissance d’équilibre, assumant qu’en Algérie, ses intérêts stratégiques, sa sécurité et son avenir étaient en partie liés.

Ce rôle n’avait rien d’une tutelle : il était l’héritage des Accords d’Évian et des Déclarations politiques qui envisageaient l’indépendance algérienne non comme un arrachement, mais comme une refondation des relations.

Malheureusement, cette posture n’a pas duré. Les années suivantes ont vu la France se détourner de cette mission historique, cédant à la tentation de réduire la relation à une simple gestion des flux migratoires ou à des calculs d’influence dérisoires.

Le Maghreb, et particulièrement l’Algérie, ont ainsi été laissés à des rivalités de puissances où la France, faute de vision, a perdu peu à peu son rôle de garant et de partenaire. Ce fut une erreur stratégique majeure, dont les conséquences pèsent encore aujourd’hui sur la relation franco-algérienne  

Pourquoi la France n’a-t-elle jamais dû se départir de ce rôle de garant et de modérateur, et pourquoi y revenir aujourd’hui est-il devenu une urgence politique et stratégique majeure ?

Parce que c’est précisément ce rôle — celui de garant de l’équilibre régional et de partenaire privilégié de l’Algérie — qui donnait à la France sa place unique et singulière dans le Maghreb et en Afrique du Nord.

Dès Évian, cette mission de stabilisation n’était pas un supplément d’âme mais un devoir inscrit dans l’architecture des relations bilatérales. La France savait alors qu’elle ne pouvait se permettre de laisser l’Algérie, après 130 ans de colonisation, livrée aux convoitises ou aux dérives.

En se retirant progressivement de cette responsabilité, en réduisant sa politique algérienne à des considérations électoralistes ou à de simples débats migratoires, la France a perdu l’initiative.

Elle a laissé un vide. Et ce vide, d’autres puissances l’ont occupé : la Chine, la Russie, la Turquie, mais aussi les États-Unis ou des acteurs du Golfe.

Tous ont compris ce que Paris a oublié : l’Algérie est une puissance régionale, un verrou stratégique entre Méditerranée et Sahel, un acteur-clé dans les équilibres de l’Afrique.

Y revenir aujourd’hui n’est pas un luxe ou une nostalgie d’empire : c’est une nécessité vitale si la France veut encore peser dans cette région. Et cette exigence ne se limite pas aux questions migratoires ou sécuritaires.

Elle concerne l’énergie, la coopération économique, la lutte contre le terrorisme, la sécurité, mais aussi, et surtout, la capacité à prévenir les crises et à accompagner la résolution des conflits.  

La France a non seulement des intérêts dans cette région, mais elle a aussi des obligations morales et politiques qui découlent directement de son histoire.

Le Maghreb est le dernier espace où elle peut encore prétendre jouer un rôle de grande puissance, non pas en imposant, mais en proposant, en médiatisant, en construisant les ponts.

Renouer avec cet héritage, c’est se rappeler que l’enjeu n’est pas de dominer l’Algérie mais de préserver une paix fragile et de construire un avenir commun.

Le prix du renoncement est connu : l’isolement, la perte d’influence, et à terme la marginalisation dans un espace où la France a tout donné, tout pris, et où elle ne pourra jamais prétendre être une puissance comme les autres.

Seule une refondation courageuse de la relation, dans l’esprit et la lettre des Accords d’Évian et des Déclarations solennelles de 1962, permettra d’éviter ce naufrage et de redonner à la France sa place et sa légitimité dans tout le Maghreb ou son intérêt est d’être l’amie et le partenaire de tous ceux qui le composent  

Comment la France peut-elle transformer cette relation bilatérale piégée par l’histoire en une alliance d’avenir, fondée sur la vérité, le respect mutuel et l’intérêt commun ?

La seule voie possible, la seule issue lucide et digne, c’est un sursaut politique majeur.

Il faut impérativement sortir de cette gestion déplorable de la relation franco-algérienne, abandonnée à des ministres en quête de posture et à des éditorialistes pyromanes.

Il faut mettre un terme aux fâcheries récurrentes et ridicules. Ce n’est plus d’effets d’annonces, de tweets ou de petites phrases provocantes que cette relation a besoin, mais d’un retour à la hauteur de vue, à la gravité des enjeux, et à la fidélité aux engagements historiques.

Le Président de la République française reprend la main — pleinement, solennellement — c’est bien et il était temps.

Il a l’initiative et la légitimité pour rétablir la diplomatie dans son rôle premier : celui de bâtir des ponts durables entre les nations, surtout lorsque leur histoire est aussi tragiquement imbriquée. Cela commence par rappeler à l’ordre ceux qui, par ignorance ou par calcul électoral, mettent en péril ce lien vital entre la France et l’Algérie. 

Ce n’est que le début du rétablissement des relations et tout reste à faire ou à refaire.

Les contentieux sont là, nombreux, plus ou moins profonds et surtout anciens. Au plan diplomatique, les différents sont aussi nombreux en Afrique, sur le Maghreb et le Moyen-Orient et je ne compte pas la CEE ou le lobby parlementaire français anti algérien est à la manœuvre. 

Mais cela ne suffira pas. Le Parlement français lui-même doit être mobilisé pour recréer des espaces de discussion, de vérité, de mémoire.

Il ne peut plus se contenter de laisser ce sujet aux seuls techniciens ignorants et irresponsables ou aux polémistes qui s’érigent en prescripteurs.

Il faut qu’il assume politiquement que cette relation n’est pas une relation comme une autre. Elle engage l’honneur de la France, sa mémoire, et son avenir en Méditerranée et en Afrique. Ce doit être la même chose en Algérie. 

Mais le préalable serait pour la France l’acte de courage et de responsabilité pour solder enfin la question mémorielle une fois pour toutes, et au bon endroit.

Ce n’est plus à Alger de l’exiger, c’est à Paris de l’assumer. Il faut que la France reconnaisse officiellement — sans détours, sans faux-semblants — les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Algérie au nom de la République française.

Oui, l’Algérie était alors la France, et c’est l’État français qui a ordonné, organisé, exécuté. C’est donc bien une autre affaire franco-française. Cette reconnaissance n’est pas un geste envers l’Algérie, c’est une exigence vis-à-vis de nous-mêmes, de nos enfants, de notre récit national.

Une fois cette vérité posée, il sera temps de rouvrir loyalement et sans encombre le chantier des accords migratoires. Pas pour entretenir un régime d’exception ou faire de la migration un chiffon rouge agité à chaque échéance électorale, mais pour construire un cadre moderne, équilibré, respectueux des deux peuples, et conforme à l’esprit et à la lettre des Accords d’Évian.

Et surtout, dans cette refondation, la diaspora franco-algérienne doit enfin être réintégrée pleinement au récit national. Elle n’est ni une menace, ni un corps étranger.

Elle est la preuve vivante de cette histoire commune, le ciment d’une mémoire partagée, un pont qu’il faut entretenir et valoriser.

Si la France persiste à traiter cette diaspora comme un problème, elle continuera à creuser un abîme au sein même de sa société. Mais si elle la reconnaît comme une richesse, alors elle pourra enfin sortir de cette impasse historique et construire un partenariat d’avenir digne des promesses d’Evian et de la grandeur qu’appelait le général de Gaulle. 

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